Tunisie : une nouvelle Constitution, et après ?  

Le 25 juillet 2022 est une date importante dans l’histoire de la Tunisie post-2011. Le pays se dote d’une nouvelle Constitution au terme d’un référendum organisé en ce jour de célébration du 65e anniversaire de la proclamation de la République. Mais ce nouveau contrat citoyen entre gouvernants et gouvernés, le troisième depuis la fondation de la République en 1957, est né dans un environnement politique, économique et social extrêmement compliqué, confus et très tendu, marqué par le divorce entre le Président de la République et l’essentiel de la classe politique, l’enlisement du pays dans les crises structurelles et l’appauvrissement de l’Etat et des populations au terme d’une décennie noire, sous la gouvernance calamiteuse du parti islamiste Ennahdha et de ses alliés.

Par Raouf Chatty *

Cette nouvelle loi fondamentale est perçue par beaucoup de citoyens et par l’étranger comme un texte voulu par le Président de la République et destiné à mettre en œuvre sur la durée ses idées et ses projets politiques, considérés par beaucoup comme fantaisistes, rétrogrades voire dangereux, même si lui s’en défend avec force et affirme haut et fort que la nouvelle Constitution est destinée réellement pour une nouvelle République des masses populaires, dont elle est l’émanation directe et qui rendra à l’Etat ses lettres de noblesse et sa puissance et le mettra en position de réaliser les objectifs de la révolution, en luttant contre la corruption et en protégeant les droits de l’homme, en assurant le développement du pays et en garantissant la justice sociale.

Rupture entre la société et l’élite

Voulu et initié par Kaïs Saïed, au lendemain du soulèvement populaire du 25 juillet 2021 contre le parti islamiste Ennahdha, qui a été chassé depuis des rouages de l’Etat et en perte de vitesse même parmi ses électeurs, ce rendez-vous historique s’est déroulé hier dans une ambiance tendue et confuse, dans un pays en difficulté, désemparé, dépassé par ses propres problèmes et ne sachant plus où donner de la tête.

La Tunisie d’aujourd’hui est profondément divisée à propos du projet présidentiel. Les très faibles taux de participation des Tunisiens à l’étranger au référendum n’ont pas été d’un bon augure pour le référendum dans le pays même. Et les campagnes négatives de plusieurs parties ont fait le reste.  

En fait, le projet de la nouvelle Constitution et son initiateur, le Président de la République, étaient combattus depuis des mois par l’essentiel de la classe politique, de l’élite intellectuelle, des médias et des Ong nationales qui ont appelé à son rejet.

Des parties étrangères ont également exprimé leurs inquiétudes sur l’avenir de la démocratie en Tunisie sous l’empire de cette nouvelle Constitution accusée de mettre les fondements légaux d’une nouvelle dictature dans le pays.

Une scène politique éclatée

Dans une scène politique éclatée et désemparée, on a assisté à la naissance d’alliances opportunistes contre-nature. C’est ainsi que des partis socio-démocrates et de gauche sans véritable assise populaire se sont alliés au parti Ennahdha, qui est pourtant le principal responsable des déboires actuels de la Tunisie, pour s’attaquer au projet de Constitution, sous la férule de Nejb Chebbi et Hamma Hammami, deux opposants éternels et éternellement minoritaires. Pour eux, il s’agit d’«un combat pour la restauration de la démocratie et la défense des droits de l’homme et des libertés privées et publiques». Mais, au regard de la population, ce «combat» trahit leur quête maladive du pouvoir qu’ils n’ont pas réussi à conquérir par les urnes, parce qu’ils font l’objet d’un rejet catégorique par le peuple…

Il n’empêche que le Président de la République assume une grande responsabilité dans cette situation. Il a, par plusieurs dispositions, dogmatiques et liberticides, de la nouvelle Constitution, alimenté les suspicions sur la dimension passéiste et autoritaire de son projet politique. En semant le doute sur la nature de ses projets pour le pays, il a perdu la confiance d’une vaste partie de la société civile et de l’intelligentzia progressiste.

Il a également et bizarrement réussi à donner vie et vigueur à une classe politique opportuniste et cynique, instrumentalisée et manipulée par le parti islamiste. Rejeté catégoriquement par une bonne partie de la population, ce parti moribond se trouve aujourd’hui revigoré, se permettant de jouer à la victime et multipliant les manœuvres pour rester au cœur du jeu politique.

Et maintenant, que va faire Saïed ?

Dans ces conditions, se pose les questions majeures suivantes :

1 – comment le Président de la République va-t-il organiser la vie politique dans le pays sous l’égide de la nouvelle Constitution, non reconnue par plusieurs formations politiques, de droite comme de gauche, dont Ennahdha, le Parti destourien libre et Afek Tounes,sans parler de la résistance conduite par Nejib Chebbi et son Front de salut national, qui ne se gênent pas de solliciter l’appui de l’étranger ?

2- le Président de la République sera-t-il capable de lâcher du lest et de faire des concessions à ses opposants, afin de constituer un gouvernement d’union nationale à même de conduire le pays dans cette phase délicate de crise ou se contentera-t-il d’un gouvernement composé de technocrates et d’éléments issus de partis cautionnant la nouvelle Constitution ? Dans ce contexte, nous lui suggérons de faire appel à des compétences non partisanes, car le pays n’est plus disposé à supporter des politiques incompétents et bavards.

3. le Président de la République choisirait-il la voie du durcissement, au risque de renforcer indirectement ses détracteurs et de s’aliéner les puissances étrangères, à un moment important où la Tunisie n’est plus en mesure de se passer de leur soutien financier ?

4 .Quelle sera l’attitude du Président de la République vis-à-vis de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) dont il aurait besoin pour faire adopter les réformes économiques et sociales structurelles exigées par le Fonds monétaire international (FMI) et autres créanciers du pays?

C’est de sa capacité à donner des assurances sur ces questions et sur les préoccupations de la classe politique soulevées notamment par le doyen Sadok Belaid dans ses récentes critiques de la nouvelle Constitution que le Chef de l’Etat sera jugé par une bonne partie des Tunisiens en prévision des échéances politiques à venir, et notamment des législatives du 17 décembre 2022 et, peut-être aussi, des présidentielles… si le Président le jugera opportun en fonction des circonstances et de l’évolution de la conjoncture nationale et internationale.

Attendons pour voir…

* Ancien ambassadeur.

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