L’institution du mariage en Tunisie est en grave crise sociétale, morale et matérielle avec le record mondial du taux de des divorces, l’aversion des jeunes gens à s’engager officiellement, la charge financière rédhibitoire du mariage dans une société en crise économique où la question matérielle prime sur les sentiments d’amour qui demeurent le seul véritable fondement du bonheur conjugal. (Illustration : derrière la carte postale du bonheur conjugal, que de désillusions!)
Par Sémia Zouari *
C’est la saison des mariages en Tunisie. Tous les jours, sur les réseaux sociaux, de nombreux couples affichent les anniversaires de leur mariage, avec le compteur en chiffres décimaux et le symbolisme rituel qui va avec, du coton au diamant…
En Tunisie, le mariage est une tradition estivale millénaire puisque l’on célébrait les mariages après les rentrées des moissons céréalières et des récoltes.
Les servitudes du patriarcat
Sans vouloir gâcher l’ambiance et à voir les déclarations d’amour dithyrambiques qui sont publiées, l’autosatisfaction ostentatoire affichée d’un bonheur sans nuages, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la contradiction de ces belles déclarations avec la réalité du terrain, dans un pays où l’institution du mariage traverse une grave crise morale jusqu’à faire exploser le nombre des divorces aussi bien chez les jeunes couples que chez les plus âgés.
Mais où sont-ils donc passés tous les couples malheureux qui n’ont pas eu la chance, le bonheur, de «réussir» leur mariage, de se faire aimer et respecter par leur partenaire, d’arriver à l’accomplissement d’un foyer heureux et équilibré?
Même sans en arriver au divorce, le mariage en Tunisie traîne encore toutes les servitudes du patriarcat, de l’exploitation matérielle et physique de la femme dont la soumission et l’asservissement sont trop souvent la clef d’une union qui «marche». Nombreux sont aussi les hommes qui se sentent exploités et mal aimés par des épouses vénales et narcissiques. Peut-on alors réellement évaluer encore les sentiments dans la durée plutôt que dans leur intensité ?
Et nous savons tous que dans chaque couple, il y a trop souvent un des partenaires qui est la «locomotive», qui fait tous les efforts, «pour que ça marche», pendant que l’autre traîne la patte, se laisse vivre et dorloter, surestimant sa position, arrivant jusqu’à instaurer un rapport de domination ingrate, narcissique, voire perverse et méprisante à l’encontre de celui qui s’investit corps et âme dans le couple. Comment s’étonner de voir un beau jour, la locomotive s’arrêter net, refuser de continuer à vivre dans une relation toxique, décider de partir ?
Une «prison» où l’amour est absent
Derrière la carte postale du foyer uni, de la liste d’épicerie (mariage, enfants, maison, diplômes, descendance…), combien de partenaires, femme ou homme, peuvent affirmer ne pas se sentir enfermés dans la «prison» du mariage, quand l’amour est absent et que seules les factures et les traites meublent les soirées télé, voire les disputes et les chicanes pour des raisons futiles comme si chacun reprochait à l’autre d’exister? Combien de couples trouvent une échappatoire dans la séparation en rapport avec le travail de l’un des conjoints à l’étranger, parfois pendant des décennies, dans une séparation de fait qui ne dit pas son nom ?
L’institution du mariage en Tunisie est en grave crise sociétale, morale et matérielle avec le record mondial du taux des divorces, l’aversion des jeunes gens à s’engager officiellement, la charge financière rédhibitoire du mariage dans une société en crise économique où la question matérielle prime sur les sentiments d’amour qui demeurent le seul véritable fondement du bonheur conjugal.
Il n’est qu’à voir tous les habillages religieux des islamistes visant à légitimer les mariages «orfis» et autres concubinages déguisés pour constater le besoin d’émancipation sexuelle de la population, dans toutes les tranches d’âge et dans toutes les catégories socio-professionnelles, aussi bien dans les milieux ruraux que citadins.
Patriarcat religieux et matriarcat œdipien
Fondamentalement ce sont les mentalités qui doivent changer. Le patriarcat religieux et le matriarcat œdipien castrateur constituent un frein à l’épanouissement affectif de notre jeunesse et ouvrent la voie à des mariages d’intérêt et de convenance, forcément voués à l’échec.
Quand les mères et les pères cesseront de s’ingérer dans les relations affectives de leur progénitures, quand les candidats au mariage seront prêts à s’engager dans une union équilibrée, les couples arriveront à se marier pour de bonnes raisons et à tout faire pour avoir un mariage réellement heureux, des enfants épanouis, même si ce n’est que pour une durée déterminée et non pour la vie.
Oui bien sûr ça ne suffit pas à créer l’alchimie de l’affection, du respect et de la confiance d’une relation heureuse et apaisée mais ce sera toujours un début pour opérer un changement dans nos sociétés sclérosées et rétrogrades qui culpabilisent la passion amoureuse hors mariage formel alors qu’elle est l’apanage de la jeunesse et s’obstinent à perpétuer une institution en crise durable pour incapacité à se réformer.
Sans vouloir fâcher personne et avec tous mes vœux de bonheur à vous tous, quel que soit votre statut actuel.
Diplomate.
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