Pourquoi la Tunisie doit-elle rester arrimée à l’Occident ?  

Ceux qui rêvent de changer les fondamentaux de la diplomatie tunisienne dont la doctrine et l’architecture ont été définies depuis la fin des années 1950 par Habib Bourguiba sont au mieux des utopistes déconnectés des réalités du monde, au pire des pyromanes qui cherchent à mettre le feu à un pays déjà rendu inflammable par l’instabilité politique et la crise économique où il se morfond depuis la «révolution» de 2011. Ces oiseaux de malheur doivent arrêter leur lugubre caquetage… (Illustration: l’ancien président Béji Caïd Essebsi au sommet du G7 le 27 mai 2017, à Taormina, en Sicile, Italie, avec Angela Merkel et Donald Trump).

Par Imed Bahri

Des voix s’élèvent de plus en plus en Tunisie pour appeler à une réorientation stratégique qui déconnecterait notre pays de son alliance historique avec l’Occident en général et les Etats-Unis et Union européenne en particulier, pour la connecter aux deux puissances asiatiques montantes que sont la Russie et la Chine. Ces appels sont non seulement irraisonnables, du point de vue de la défense des intérêts supérieurs de la Tunisie, mais carrément suicidaires au regard de la géopolitique mondiale actuelle.

D’abord, la position géographique de la Tunisie, située à quelques dizaines de kilomètres des côtes sud de l’Europe, ses ressources économiques limitées, qui expliquent sa forte dépendance des dons, prêts et investissements européens et américains, lesquels représentent autour de 80% de ses échanges extérieurs, mais aussi l’ampleur des déficits commerciaux chroniques que notre pays a avec la Chine et la Russie, qui lui vendent beaucoup et ne lui achètent quasiment rien… Tout cela plaide pour la poursuite et le renforcement des relations historiques de la Tunisie avec ce qu’on appelait, durant la guerre froide, le monde libre, et qui un demi-siècle plus tard, l’est toujours, la Russie et la Chine étant toujours les porte-drapeaux de la dictature et de l’autoritarisme dans le monde.

Une proposition suicidaire

Cependant, et si le renforcement des relations avec ces deux pays est toujours souhaitable, mais dans le sens d’un meilleur équilibre des échanges et d’une coopération mutuellement profitable (et pas toujours aux dépens de la Tunisie, comme elle l’est aujourd’hui), toute alliance avec Moscou et Pékin, du genre à laquelle appellent certains pseudos experts en géostratégie, pourrait coûter très cher à notre pays, en termes de manque à gagner économique et financier, mais aussi de brouillage de son image sur la scène mondiale.

Répondant à ces «pseudo experts qui courent les salons et plateaux de télévision», le diplomate Elyes Kasri leur conseille, dans un post Facebook publié aujourd’hui, samedi 6 juin 2022, de «bien méditer leur proposition saugrenue que la Tunisie mette fin à son partenariat avec l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique pour s’arrimer à la Russie et à la Chine à la faveur du tant attendu nouvel ordre mondial».

L’ancien ambassadeur écrit : «Les idéologues antioccidentaux et principalement antiaméricains gagneraient à modérer leurs ardeurs à la lumière des difficultés rencontrées par la Russie et la Chine dans leur voisinage immédiat.» Et pour cause, explique-t-il : «Au-delà de quelques projets de coopération sans aucun impact significatif sur la situation critique de l’économie tunisienne, ces deux pays sont suffisamment empêtrés dans des contentieux historiques de proximité pour s’impliquer d’une manière stratégique et significative en Tunisie qui, il ne faut pas l’oublier, fait partie du flanc sud de l’Europe et de l’Otan».

Utopistes ou pyromanes

Cette analyse est d’autant plus juste et recevable que la Tunisie est lié à l’Union européenne par un accord d’association signé en 1996 dont dépend des pans entiers de son économie, et qu’elle est un allié majeur non membre de l’Otan depuis 2015. Cette dernière alliance vaut à notre pays de précieuses aides militaires dont il ne saurait se passer, notamment dans le domaine de la surveillance de ses frontières terrestres et maritimes et de la lutte contre le terrorisme.

Ceux qui rêvent de changer les fondamentaux de la diplomatie tunisienne dont la doctrine et l’architecture ont été définies depuis la fin des années 1950 par Habib Bourguiba sont au mieux des utopistes déconnectés des réalités du monde, au pire des pyromanes qui cherchent à mettre le feu à un pays déjà rendu inflammable par l’instabilité politique et la crise économique où il se morfond depuis la «révolution» de 2011.    

«La première urgence pour de nombreux politiciens et activistes politiques tunisiens serait de faire preuve de sobriété et d’arrêter de régurgiter des théories et idéologies qui n’ont rien à voir avec les rapports de force dans le monde d’aujourd’hui, tout du moins dans le court terme qui va déterminer la capacité de la Tunisie de survivre à la présente crise qui risque d’enfoncer le pays dans la misère et l’anarchie», conclut Elyes Kasri, dont la carrière diplomatique l’a amené aussi bien en Asie qu’en Europe.  

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