L’entretien téléphonique hier, mardi 9 août 2022, entre le président de la république Kaïs Saïed et son homologue français Emmanuel Macron était attendu voire espéré par beaucoup de forces politiques en Tunisie qui appréhendent à juste titre un début de détérioration des relations de leur pays avec ses alliés historiques : les Etats-Unis et l’Union européenne.
Par Ridha Kefi
La Tunisie fait face à une crise financière asphyxiante et a besoin de financements extérieurs pour boucler son budget pour l’année 2022 et préparer un exercice budgétaire 2023 qui s’annonce particulièrement dur, avec un taux d’endettement dépassant 100% du PIB et un service de la dette devenu lourd pour ses finances publiques, bousculées par les conséquences de la guerre russo-ukrainienne.
Alors que l’économie nationale a du mal à reprendre son rythme d’avant 2019 et que les besoins de financement extérieur du pays augmentent sans cesse en raison de la hausse des prix sur les marchés internationaux et de la détérioration constante de la valeur du dinar face au dollar et à l’euro, la diplomatie tunisienne n’a pas fait preuve d’une grande réactivité pour mobiliser les partenaires historiques autour d’un programme de sauvetage de la Tunisie, qui, d’ailleurs, n’existe même pas.
Dans la difficulté, on compte ses amis
Pour ne rien arranger, les initiatives politiques et constitutionnelles prises par le président Saïed pour accaparer tous les pouvoirs dans le pays et y restaurer le pouvoir personnel que l’on croyait définitivement enterré avec la chute de Ben Ali ont été très mal appréciées dans la plupart des capitales occidentales, Washington en tête, dont les hauts responsables n’ont pas pris des pincettes pour critiquer ce qu’ils considèrent comme une dérive autoritaire et menacer de réduire de moitié le montant de l’aide américaine à notre pays.
L’Union européenne, qui n’en pensait pas moins, a observé, quant à elle, une certaine réserve vis-à-vis de Carthage, et les relations entre Tunis et Bruxelles en ont pris un coup, et n’eut été le soutien, discret mais efficace, de la France, notre premier partenaire économique aurait peut-être emboîté le pas à Washington dans la prise de distance vis-à-vis d’un nouveau régime qui est en train de chambarder, par petites touches, tous les fondamentaux de la politique, intérieure et extérieure, de la Tunisie.
Sans surprise, les alliés potentiels de la Tunisie dans le monde arabe, à savoir l’Egypte, le Maroc et les pays du Golfe, n’ont pas montré, eux non plus, la compréhension espérée vis-à-vis des changements en cours dans notre pays. Ayant du mal à comprendre les positions radicales du président Saïed sur certaines questions, ils préfèrent temporiser pour mieux comprendre l’homme qui tient tous les leviers du pouvoir dans le pays et voir comment la situation va évoluer en Tunisie, qui leur paraît instable et volatile. Les critiques adressées par Washington à Tunis ne les encouragent pas non plus à s’engager aux côtés d’un pays dont l’image internationale est aujourd’hui complètement brouillée. Pas de lueur d’espoir donc de ce côté non plus.
Un constat tardif d’isolement
C’est, on l’imagine, ce constat d’isolement qui a incité le président Saïed à prendre le téléphone pour appeler le président français qui apparaît aujourd’hui comme le principal défenseur de la Tunisie dans les enceintes internationales. Et ce n’est pas tant le régime de M. Saïed que M. Macron défend, mais un pays, la Tunisie, qui a toujours été proche et où la France possède des intérêts importants.
Faut-il rappeler, à cet égard, que la France, premier investisseur en Tunisie, compte dans notre pays 1 400 entreprises françaises ou à capitaux mixtes. Et en dépit d’un environnement parfois instable ces dernières années, la présence d’entreprises françaises en Tunisie n’a pas baissé et les 1.400 entreprises françaises emploient 140.000 personnes.
Rappelons aussi, dans ce contexte, que quelque 30 000 Français vivent en Tunisie dont 67% de binationaux et que la France compte près de 730 000 résidants tunisiens ou binationaux, qui représentent une passerelle humaine entre les deux pays dont les relations sont cimentées par une longue histoire commune.
Sur un autre plan, la France, autant sinon plus que l’Italie, appréhende la montée de l’instabilité en Tunisie qui se traduirait par une aggravation des flux d’émigration clandestine à partir des côtes sud de la Méditerranée. Elle apprécie aussi les bonnes dispositions montrées jusque-là par les autorités tunisiennes en coopérant étroitement dans la lutte contre ce fléau, et notamment en acceptant le rapatriement d’un certain nombre de ses ressortissants en situation irrégulière en Europe, alors que d’autres pays de la région, comme l’Algérie et le Maroc, se montrent moins coopératifs dans ce domaine.
Dissiper les malentendus et calmer les appréhensions
Au-delà de sa portée politique et des espoirs qu’y met la Tunisie pour sortir de son isolement diplomatique actuel, l’entretien entre Saïed et Macron a surtout porté sur la situation économique de la Tunisie et notamment les négociations en cours avec le Fonds monétaire international (FMI).
Le chef d’Etat tunisien, qui redoute une opposition américaine au prêt du FMI – ce qui nous semble très peu probable –, a sans doute été satisfait par les assurances de son homologue français que «la Tunisie peut compter sur le soutien de la France», la France étant aussi influente au sein du conseil d’administration de l’instance financière internationale que les Etats-Unis et les autres grands contributeurs.
La promesse du président français d’aider la Tunisie à répondre à ses besoins alimentaires, notamment dans le cadre de l’initiative Food and Agricultural Resilience Mission (Farm), s’inscrit aussi dans cette volonté d’éviter à la Tunisie les affres d’une pénurie des produits de base comme le blé, qui est la base de l’alimentation des Tunisiens.
Il reste cependant à espérer que les démarches diplomatiques pour essayer d’expliquer la situation en Tunisie à ses principaux partenaires internationaux ne s’arrêtera pas là. Car il y a encore beaucoup de travail à faire en direction de Washington, de Bruxelles et des pays du Golfe pour informer, expliquer, dissiper les malentendus, calmer les appréhensions et rassurer quant à l’avenir immédiat du pays et au respect de ses engagements internationaux.
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