Tentative d’assassinat de Salman Rushdie : le silence assourdissant des musulmans !   

Quels que soient sa nationalité, sa religion, sa langue et le jugement que l’on porte sur ses écrits, un écrivain dont on a attenté à la vie, même s’il s’appelle Salman Rushdie et qu’il incarne le diable aux yeux de beaucoup de musulmans, a droit à notre compassion. Et quelles que soient leurs motivations, celui ou ceux qui ont attenté à sa vie doivent être fermement condamnés.

Par Imed Bahri

Nous écrivons cela en réaction aux commentaires hostiles à la victime et défendant l’agresseur que nous avons lus et entendus sur les réseaux sociaux et les médias dans le monde arabo-musulman, et notamment en Iran, où l’auteur britannique d’origine indienne, auteur des fameux ‘‘Versets sataniques’’, est qualifié par les médias officiels, et notamment par l’agence officielle Irna, d’«écrivain apostat».

L’homme traqué par les obscurantistes

Celui qui a fait l’objet d’une tentative d’assassinat lors d’une conférence dans l’ouest de New York, hier, vendredi 12 août 2022, est depuis son agression entre la vie et la mort. Mais son état critique n’a inspiré aucun sentiment de compassion au principal quotidien ultraconservateur iranien, Kayhan, qui a félicité, ce samedi 13 août, l’homme ayant poignardé Salman Rushdie. «Bravo à cet homme courageux et conscient de son devoir qui a attaqué l’apostat et le vicieux Salman Rushdie», a écrit le journal, dont le patron est nommé par le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei. «Baisons la main de celui qui a déchiré le cou de l’ennemi de Dieu avec un couteau», poursuit le même journal.

La victime lors de son transfert à l’hôpital.

De la part d’un régime qui avait émis une fatwa en 1989, par la voix de son guide de l’époque, l’imam Khomeiny, appelant à tuer l’écrivain, coupable d’avoir brossé un portrait pas très conforme au dogme islamique du prophète de l’islam dans son roman ‘‘Les versets sataniques’’, par allusion aux versets du Coran où Satan aurait fait dire à Mohamed des paroles empreintes de conciliation avec les idées polythéistes. Cet épisode n’a pas été inventé par le romancier mais rapporté par de nombreuses sources islamiques anciennes, notamment les commentateurs Ibn Saad et Tabari.

Depuis sa publication et la fatwa qu’il a suscité, ce roman n’a pas fini de «tuer» : des «musulmans zélés», selon l’expression même de Khomeiny, ont attaqué et blessé plusieurs traducteurs des ‘‘Versets’’. Le traducteur japonais Hitoshi Igarashi, victime de plusieurs coups de poignard, a même été tué en 1991.

L’agresseur, Hedi Matar, un extrémiste chiite adepte de Khomeiny.

Salman Rushdie, qui avait, entretemps, trouvé asile à New York, aux Etats-Unis, était depuis 1989 dans le viseur d’assassins qui le traquaient partout et vécut dans la peur en changeant régulièrement de domicile dans une tentative d’effacer sa trace. Mais un apprenti tueur originaire d’un pays arabe – Hedi Matar, originaire du Liban, est un chiite adepte de Khomeiny – a malheureusement pu l’atteindre hier, et en attendant d’en savoir plus sur l’agresseur, ses motivations et ses éventuels complices ou commanditaires, souhaitons bon rétablissement à l’écrivain.

La lâcheté n’a jamais sauvé personne

On relèvera cependant, 24 heures après cette tentative d’assassinat, le silence assourdissant dans le monde arabe. Or, on voudrait entendre des responsables politiques ou des autorités religieuses et intellectuelles condamner clairement et fermement cet acte ignoble, ne fut-ce que pour le principe et en prenant les précautions de style nécessaires pour éviter les malentendus qu’une position mal comprise pourrait alimenter.

Le courage intellectuel et moral n’est certes pas la vertu la mieux partagée dans le monde arabo-musulman, mais la lâcheté n’a jamais sauvé personne. Car l’extrémisme religieux a déjà frappé beaucoup d’écrivains et d’intellectuels arabes, et sa condamnation ne doit souffrir aucun calcul, car il va de la pérennité des idéaux progressistes, ou de leur échec définitif devant les gardiens du dogme stérilisant qui empêche notre région d’entrer de plein pied dans le monde moderne.

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