Tunisie : Quel rôle pour Mme Saïed dans la «nouvelle république» ?

Achraf Chebil Saïed, l’épouse du président de la république Kaïs Saïed, était jusque-là très discrète et presque effacée, et ses apparitions officielles se comptaient sur les doigts d’une seule main. On ne s’étonnera pas, dès lors, que le discours officiel qu’elle a prononcé, le 13 août 2022, dans le cadre de la célébration officielle de la fête nationale de la femme, ait suscité tant d’interrogations.

Par Ridha Kefi

Ces interrogations sont d’autant plus légitimes que, jusqu’ici, la cérémonie officielle de célébration de la fête nationale de la femme se tenait au palais de Carthage, était présidée par le président de la république et offrait l’occasion d’un bilan politique des avancées dans le domaine des droits de la femme.

Tous les présidents qui se sont succédé depuis l’indépendance du pays en 1956 ont respecté cette tradition politique. Pourquoi M. Saïed la transgresse-t-il aujourd’hui, et quel message a-t-il voulu envoyer, ce faisant, aux femmes, lui, le plus conservateur de tous les présidents qu’a connus la Tunisie, et qui a solennellement exprimé son opposition catégorique à l’égalité totale entre les deux sexes, parce que cela est en contradiction avec le texte de l’islam, comme il l’a justifié?

Les femmes craignent pour leurs acquis

M. Saïed sait que, selon les sondages, les femmes ont représenté à peine 6% de l’ensemble des électeurs ayant voté pour «sa» nouvelle constitution lors du référendum du 25 juillet dernier. A-t-il voulu leur dire, à cette occasion, qu’il a compris leur message et que, par conséquent ou pour les punir, il va continuer à détricoter les acquis que leur ont concédés tous ses prédécesseurs ?      

Le protocole de la cérémonie, qui s’est déroulée dans la cour du lycée des jeunes filles de la rue du Pacha, dans la médina de Tunis (autre innovation inexpliquée), suscite lui aussi des interrogations.

A quel titre, en effet, Mme Saïed a-t-elle pris la parole, qui plus est, pour «faire de la politique», en soulignant notamment les acquis obtenus par les femmes grâce à la constitution de la nouvelle république que son auguste mari avait fait voter trois semaines auparavant, «acquis» que du reste elle seule semble avoir vus ?

Le statut d’épouse du chef de l’Etat donne-t-il la préséance à Mme Saïed sur la cheffe du gouvernement Najla Bouden dans l’ordre protocolaire suivi lors de la cérémonie officielle ? Pendant toute la cérémonie, celle-ci était dans ses petits souliers et s’effaçait autant qu’elle le pouvait – et dans cet exercice d’auto-effacement, la professeure de géologie bombardée cheffe de gouvernement a toujours brillé – pour laisser toute la lumière à celle qui est censée n’être «que» Mme Saïed.   

Chat échaudé craint le froid

On ne sait pas quelles sont les motivations qui ont poussé M. Saïed à bouder la cérémonie officielle de célébration de la fête nationale de femme, mais on est sûr qu’elles ne sont pas «féministes», loin s’en faut.

Le président de la république, qui ne cesse de diviser les Tunisien(ne)s et de les opposer les un(e)s aux autres, a préféré nous rejouer, le 13 août, son ennuyeux numéro de visite aux femmes potières du Hay Helal, quartier pauvre situé à la lisière ouest de Tunis, comme pour dire aux militantes féministes, trop intellectuelles et trop bourgeoises à son goût, qu’il a horreur de leur compagnie à laquelle il préfère celle des femmes du peuple, ce peuple dont il se réclame tapageusement et qui attend toujours la prospérité qu’il lui avait promise et qu’il croit pouvoir amener à coups de textes de lois, aussi inutiles qu’inapplicables et ne répondant à aucune nécessité ni à aucune urgence populaires.

Sur un autre plan, on ne connaît pas Mme Saïed. On ne sait pas si la magistrate qui exerce toujours au sein de l’administration judiciaire a une quelconque influence sur les décisions de son époux, notamment en ce qui concerne la justice. Mais les Tunisiens, qui gardent encore en mémoire le rôle invasif de Wassila Bourguiba et Leila Ben Ali dans la gestion des affaires publiques de leur pays dans les années 1970-1980 pour la première et les années 1990-2010 pour la seconde, sont en droit d’appréhender cette brusque mise des projecteurs sur Achraf Saïed, au moment où «Monsieur Frère», Naoufel Saïed, semble avoir une influence certaine dans l’entourage présidentiel. Ou comme dit l’adage, «Chat écaudé craint l’eau froide».

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