A l’instar de la guerre russo-ukrainienne qui repose sur une tragédie de l’histoire et de la géopolitique, où la question identitaire occupe une place centrale, les Chinois revendiquent sans cesse une seule Chine par voie d’annexion de Taïwan et les Taïwanais s’y opposent depuis 1949 en revendiquant une indépendance qui n’est pas reconnue par toutes les nations du monde !
Par Mahjoub Lotfi Belhedi *
Au-delà des spéculations théoriques y afférentes, le concept casse-tête de l’identité n’est au final qu’une perception cognitive d’appartenance à une communauté d’intérêt bien distincte des autres, pas forcément issue d’un cheminement linéaire du courant de l’histoire, au contraire, cette perception collective pourra naître aussi par voie de rupture. A cet égard le cas d’école taïwanais est révélateur !
Querelle identitaire chronique
En cuisine interne, la question identitaire suscite chez les Taïwanais, depuis des décennies, une vive polémique d’ordres politique et intergénérationnel.
En effet, les deux partis dominent l’échiquier politique taïwanais depuis les années 1990, en l’occurrence le Parti nationaliste chinois (Kuomintang) et le Parti démocrate progressiste (le PDP), développent deux visions différentes : alors que le premier adopte la théorie d’une seule Chine, le second considère que Taïwan est un État indépendant et souverain.
A ce clivage politique vient s’ajouter une animosité intergénérationnelle de plus en plus nette. Des études récentes démontrent que les Taïwanais de plus de 60 ans se considèrent comme des Chinois, alors que ceux de la tranche d’âge de plus de 40 ans se considèrent à la fois comme Chinois et Taïwanais. En revanche, chez les moins de 30 ans, le dilemme de l’appartenance ne se pose pas. Ils se proclament Taïwanais purs et durs!
Une identité composite
La gestation d’une identité typiquement taïwanaise a pris plusieurs siècles pour atteindre ses deux points culminants en 1949 et en l’an 2000.
En décembre 1949, c’était la fondation d’un État souverain distinct de la Chine continentale par Tchang Kai-check. Cette nouvelle entité a pris la lourde charge historique de représenter la Chine aux Nations-Unies jusqu’à 1971. Une page de l’histoire contemporaine, fortement négligée, dénote l’existence réelle d’un État taïwanais de fait et de droit.
En mars 2000, le candidat de la mouvance indépendantiste Chen Shui-bian, président du PDP, remporte l’élection présidentielle (39,3%) qui marqua la naissance d’une démocratie taïwanaise á 150 km seulement des «rivages rouges» de la Chine populaire.
Cette adhésion aux valeurs universelles des droits de l’homme et au mode de gouvernance démocratique a contribué par voie de fiction juridique (présomption d’une nouvelle démocratie en cours d’éclosion) à la réaffirmation d’une identité taïwanaise rattachée à un socle de valeurs et de pratiques totalement opposées à ce qui se passe en Chine totalitaire !
Et comme toute fiction juridique bénéfique, la combinaison réalité/fiction dans le cas d’école taïwanais a favorisé l’émergence d’une identité composite et atypique, forgée péniblement par les autochtones de l’archipel (les aborigènes), les Hoklo et les Han…
Un additif identitaire vital
Quel que soit son degré de pertinence, toute perception territoriale légitime a besoin impérativement d’un label sémantique distinctif qui lui est propre en vue d’éviter toute ambiguïté source d’amalgame et de confusion possible.
En dépit de sept décennies d’existence autonome, Taïwan se trouve trahi par son propre paradigme d’appellation : la République de Chine Vs la République populaire de Chine.
Pour une bonne partie de la communauté internationale, la récurrence du nom propre «Chine» traduit, qu’on le veuille ou non, une reconnaissance explicite de l’identité chinoise de Taiwan!
Néanmoins, cette posture internationale revêt un caractère paradoxal, parfaitement observée au niveau des relations internationales multilatérales, alors que «Taiwan» est souvent stipulé en gros caractères dans le cadre des relations économiques et commerciales bilatérales! Face à ce dilemme existentiel, il n’y a pas mille chemins à emprunter…
Il faut savoir, à ce propos, que dans la tradition astrologique chinoise, un simple changement de répertoire pourrait suffire à convertir un «lion» en «rat»…
Et la querelle identitaire pourra continuer et, avec elle, en arrière-fond, des bruits de bottes!
* Universitaire spécialiste en questions stratégiques.
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