Tunisie : à quoi servent tous ces procès qui s’effilochent en chemin ?

Rached Ghannouchi, Noureddine Bhiri, Hamadi Jebali, Noureddine Khadmi, Fathi Beldi et autres Abdelkarim Labidi…  On ne compte plus les dirigeants du parti islamiste Ennahdha qui ont été entendus par la police judiciaire ou le parquet, mais qui ont été à chaque fois inexplicablement relâchés, leurs arrestations et audiences ayant été précédées par de graves accusations sur les réseaux sociaux, mais suivis d’un black-out total. A quoi riment toutes ces gesticulations judiciaires qui s’apparentent à une comédie de pouvoir ?   

Par Ridha Kéfi

Si l’on excepte le menu fretin, comme le journaliste Salah Attia ou l’ex-député Seifeddine Makhlouf, qui ont écopé de quelques mois de prison pour des accusations faiblardes, il n’y a pas eu de véritables procès, les soi-disant affaires s’effilochant à mi-chemin, avant de se perdre dans les méandres d’une justice qui fonctionne cahin-caha et souvent à la tête du client.

Entretemps, les assassins des dirigeants de gauche Chokri Belaid et Mohmed Brahmi, tués en 2013 devant chez eux par des extrémistes religieux, courent toujours, ainsi que leurs commanditaires. L’affaire du meurtre de Lotfi Naghd, en 2012, à Tataouine, par des éléments proches d’Ennahdha, évolue en dents de scie, sans connaître véritablement d’issue. Celle de l’appareil militaire secret du parti islamiste, qui avait pourtant fait couler beaucoup d’encre, ne semble pas avoir beaucoup avancé elle non plus. Pas plus que l’affaire des réseaux d’envoi des jeunes combattants en Syrie et autres fronts du jihad islamique.

Les marionnettistes

Si ces affaires, qui prouvent l’incompétence voire la corruption d’une justice qui rechigne à assainir ses rangs et à redorer son blason, ont encore quelque intérêt c’est pour ceux qui les exploitent politiquement d’une façon ou d’une autre : ceux qui ont besoin du sang des victimes qu’ils invoquent à tout bout de champ pour exister eux-mêmes sur la scène politique, ceux qui cherchent  à mettre en difficulté leurs adversaires du moment en invoquant leur responsabilité dans ces crimes, et ceux qui, voyant leur popularité piquer du nez, trouvent le moyen d’en redresser la barre en provoquant des arrestations très médiatisées de tel ou tel dirigeant politique. Et cela, comme l’expérience l’a démontré, occupe bien le petit peuple, qui se laisse volontiers berner, trouvant dans les images des responsables politiques traînés devant la justice une satisfaction de ses instincts primitifs de vengeance.  

Loin de nous l’intention d’innocenter ces responsables qui, de toute façon, devront rendre compte un jour de leurs actes devant la justice des hommes sinon celle de Dieu, nous ne sommes pas des juges, mais des journalistes, et notre rôle d’observateurs est de relever les inconséquences, les dysfonctionnements, les mensonges ou les faux-semblants auxquels recourent les dirigeants politiques pour leurrer tout leur monde.

Les dindons de la farce

Pour revenir aux vrais faux procès qu’on ouvre et qu’on ferme à l’envi et selon les besoins du moment, on constatera, tout de même, que les soi-disant arrestation et audition de tel ou tel dirigeant politique suit une stratégie de communication bien ficelée – nous ne croyons pas aux coïncidences en politique – et qui vise à redorer le blason de celui qui nous gouverne aujourd’hui et qui accapare tous les pouvoirs (le législatif, l’exécutif, le judiciaire et même le médiatique) depuis son coup de force constitutionnel du 25 juillet 2021, à savoir le président de la république.

On constatera donc sans peine qu’à chaque fois que Kaïs Saïed se trouve en difficulté, que son bilan est contesté ou que ses décisions rencontrent une forte opposition dans l’opinion, comme c’est le cas actuellement, une série de décisions judiciaires sont prises pour conforter cette même opinion dans son désir de justice ou son besoin de vengeance. Mais le problème, et problème il y a, c’est que ces décisions sont souvent éphémères et n’aboutissent à rien de concret : ni accusation, ni condamnation, ni révélation de la vérité. En politique, cela s’appelle «effet d’annonce» et les experts en communication en usent et abusent, l’essentiel à leurs yeux étant que leur «client» voit son image redorée pour quelque temps et son taux de popularité reprendre une pente ascendante.

Et on vous laisse deviner qui sont les dindons de cette farce…

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