Tunisie : quel crédit auraient des législatives sans le PDL ?

Tous les grands partis en termes de scores électoraux s’orientent vers le boycottage des élections législatives anticipées du 17 décembre prochain dont les règles sont en train d’être définies unilatéralement et dans le secret le plus total par le président de la république Kaïs Saïed. C’est le cas notamment du Parti destourien libre (PDL), qui est donné largement vainqueur de ces élections par tous les sondages d’opinion. Mais quel crédit auraient les résultats de cette consultation électorale si les partis qui comptent en seront exclus ?

Par Imed Bahri

 «Si les informations sur une éventuelle modification de la loi électorale, c’est-à-dire à dix jours seulement de la convocation des électeurs pour les prochaines élections législatives du 17 décembre, sont vraies, le Parti libre destourien ne participera pas à ces élections non conforme aux normes internationales», a ainsi prévenu Abir Moussi, présidente du PDL, lors d’une conférence de presse tenue mercredi 7 septembre 2022 à Tunis, en soulignant que la promulgation de la loi électorale durant cette période «va à l’encontre des normes internationales ainsi que du code de conduite électoral» élaboré par la Commission de Venise à la demande de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), une référence mondiale en la matière, mais dont le président Saïed refuse de reconnaître l’expertise.

Un conseil de la choura plutôt qu’un parlement

Si les élections législatives se tiennent comme on est en train de le préparer au niveau de la présidence de la république, il y aura «une nouvelle opération de fraude qui vise à donner un agrément fictif à un parlement plus proche d’un conseil de la choura d’un califat» que d’un parlement dans le vrai sens du terme, a souligné Mme Moussi, en appelant les citoyens tunisiens à ne plus transiger sur leur citoyenneté et leurs droits.

Et Mme Moussi d’avertir contre les conséquences de l’exclusion du PDL et de ses dirigeants des prochaines élections à la faveur de la nouvelle loi électorale, intention dont elle a de bonnes raisons de soupçonner le président Kaïs Saïed qui, comme il l’a fait avec la nouvelle constitution, est en train de mener unilatéralement et dans le secret le plus absolu la rédaction de la nouvelle loi électorale, laquelle portera la marque de son hostilité personnelle aux partis et aux corps intermédiaires en général.  

S’il est exclu de la course par la nouvelle loi électorale, le PDL ne restera pas les bras croisés et informera la communauté internationale des graves violations des règles démocratiques en Tunisie.

Le chef de l’Etat «sait très bien que s’il participe à des élections libres et équitables, il ne gagnera jamais la confiance des Tunisiens», a affirmé Mme Moussi. «C’est pourquoi le président est pressé d’élaborer une loi électorale à sa mesure».

Le président du PDL a appelé l’Onu à «ne pas reconnaître les prochaines élections législatives et la légitimité de Kaïs Saïed comme président du pays». D’autre part, elle a appelé à organiser des élections présidentielles dans le respect des principes de la démocratie, du droit international, de la Charte des Nations Unies et des principes de la légalité internationale, estimant qu’en proclamant l’état d’exception et en accaparant tous les pouvoirs, à la faveur du coup d’Etat du 25 juillet 2021, M. Saïed a perdu toute légitimité, d’autant qu’il a dissous la constitution sur la base de laquelle il avait prêté serment et s’était engagé à respecter les lois de la république.

Une guerre civile larvée «administrée» par l’Etat

Les positions exprimées par Mme Moussi traduisent des inquiétudes partagées par des pans entiers de la scène politique et de la société civile tunisiennes qui observent ce qu’il qualifient de dérive autocratique d’un président qui fait le vide autour lui, agit selon son bon vouloir sans consulter personne, même pas ses propres partisans, accapare tous les pouvoirs (législatif, exécutif et même judiciaire) et entend dicter ses choix personnels, bâtis sur une vision messianique du monde, à une nation qu’il ne cherche pas à unir, mais à diviser et à remonter ses composantes les unes contre les autres, dans une sorte de guerre civile larvée administrée par la plus haute autorité de l’Etat.

Le choix de boycotter les prochaines législatives pourrait être critiqué car il risque de produire l’effet inverse à celui recherché : inciter le président Saïed, dont on connaît l’obstination, à avancer jusqu’au bout sur la voie qu’il s’est choisie. Mais pour quel autre choix pourraient opter les partis de l’opposition qui, de toutes les façons, vont se retrouver exclus de fait de la course par une loi électorale dont le principal objectif, comme on ne cesse de l’apprendre par la voix même des partisans de M. Saïed, est de marginaliser les partis et de les exclure du processus politique national ?

Le boycottage aura au moins l’avantage de priver les prochaines élections de toute légitimité politique qu’une participation pour la forme pourrait leur donner.

Sans la participation des grands partis, tel le PDL, ces élections n’auront en effet aucune légitimité au regard de la communauté internationale dont la Tunisie a besoin pour sortir de la crise et redresser son économie en panne, laquelle communauté, à l’inverse de M. Saïed, ne conçoit pas de démocratie… sans les partis.

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