Tunisie : les «Bok-boks» et la fable de la lutte contre la contrebande

Le décès du présumé contrebandier Mohsen Zayani, en pleine rue, dans le quartier Le Passage au centre-ville de Tunis, dans la soirée du mercredi 7 septembre 2022, suite à des tirs d’agents de la douane sur la voiture au bord de laquelle il tentait de s’enfuir, pose un vrai problème à la pseudo démocratie tunisienne, celui de l’usage inconsidéré de la violence par les agents en uniforme et, plus grave encore, de la protection et de l’impunité que leur garantit un Etat complice. (Illustration : Mohsen Zayani a payé pour les barons de la contrebande qui possèdent des salons de thé aux quartiers huppés d’Ennasr et des Berges du Lac et des boîtes de nuit à Gammarth).

Par Ridha Kefi

Inutile de répondre ici aux «Bok-bok» habituels qui hantent les réseaux sociaux où ils versent leur bile haineuse du matin au soir, justifiant tous les écarts du pouvoir, croyant ainsi servir leur idole du moment, à savoir le président de la république Kaïs Saïed.

Ces idiots inutiles, qui ont largement contribué par leur sottise à la destruction du pays depuis 2011, s’échinent à nous faire comprendre que leur «Combattant suprême» actuel (ils en ont eu d’autres dans une vie antérieure) n’est responsable de rien dans tout ce qui fonctionne mal dans le pays : pénuries de toutes sortes, hausses vertigineuses des prix, banalisation des violences policières et autres fléaux dont se plaignent quotidiennement les pauvres citoyens que nous sommes. Et ce quand bien même, il accaparerait tous les pouvoirs que tout autocrate qui se respecte œuvre à cumuler : le législatif, l’exécutif et même le judiciaire. Ce n’est jamais de sa faute et c’est presque toujours celle de ses opposants qui, eux, n’ont que leurs yeux pour pleurer !!  

A ces «Bok-bok» qui justifient le meurtre (car c’en est un) de Mohsen Zayani au prétexte qu’il est un contrebandier et que, pris en flagrant délit, il a tenté de fuir les agents de la douane, en se faisant aider par d’autres contrebandiers qui ont pris à partie les agents en leur jetant des pierres. Tout cela est certes vrai, et plusieurs citoyens présents sur les lieux l’ont rapporté, bien avant le communiqué explicatif des autorités douanières, mais le problème n’est pas là.

Les règles d’engagement ont-elles été respectées ?

Les circonstances exactes de la mort par balle du jeune homme seront déterminées par les parties concernées, à savoir la police technique, la police judiciaire, le juge d’instruction… Et c’est la justice qui devra, au final, donner un nom à ce qui s’est passé, délimiter les responsabilités, sanctionner les coupables et dire le droit. Espérons, toutefois, que tout ce beau monde ne fera pas preuve d’esprit corporatiste, comme il nous a habitués jusque-là, et fera tout ce qui est possible pour aider à la révélation de la vérité.

Ce qui est important à relever dans cette affaire, c’est le comportement pour le moins cavalier, irresponsable et peu professionnel des agents qui ont utilisé leurs armes de poing, qui plus est, en pleine rue, dans un quartier habituellement très fréquenté au moment où se sont déroulés les faits. Ce qui pose plusieurs questions : Etaient-ils bien préparés avant de lancer l’opération ? Connaissaient-ils bien le lieu où l’affrontement allait avoir lieu ? Etaient-ils en nombre suffisant pour parer à toute éventualité ? Pourquoi ne s’étaient-ils pas fait aider par la police, qui est mieux préparée pour mener des opérations de maintien de l’ordre en milieu urbain ? L’agent qui, dans le feu de l’action et pour protéger son collègue agressé, a tiré sur le fuyard, a-t-il vraiment tiré des balles de sommation en l’air puis visé les roues de la voiture du fuyard ou a-t-il visé la tête avec l’intention de donner la mort ? Les règles d’engagement des agents armés telles que précisées par la loi tunisienne et le protocole appris dans les écoles de police ont-elles vraiment été respectées ?

Avant de juger, de justifier ou d’accuser une partie ou une autre, attendons d’en savoir un peu plus sur les circonstances d’un meurtre et laissons la justice faire son travail. Mais pouvons-nous laisser passer cette douloureuse occasion sans déplorer la banalisation de la violence chez les agents en uniforme à laquelle nous assistons depuis quelque temps en Tunisie, et qui, plus grave encore, semble bénéficier de l’indulgente compréhension voire de la complicité active des plus hautes autorités de l’Etat.

Des autorités laxistes, complaisantes et complices    

Nous écrivons cela après avoir constaté la multiplication des bavures policières dont sont victimes des citoyens, et pas nécessairement des hors-la-loi, sans que la plus haute autorité de l’Etat, à savoir le président de la république, qui se dit pourtant très sensible aux souffrances du petit peuple, ne réagisse pour y mettre le holà !

On n’a, en effet, jamais vu le président Saïed recevoir une victime ou la famille d‘une victime de la violence policière pour marquer sa désapprobation de ce phénomène et envoyer un signe de fermeté aux policiers qui outrepassent la loi.

On ne l’a non plus jamais entendu rappeler les policiers à l’ordre républicain, ce qui est aussi de son devoir. Il y a pourtant eu plusieurs occasions où il aurait pu ou dû le faire : notamment lorsqu’un adolescent a été agressé, humilié et son pantalon enlevé en pleine rue par des policiers avant d’être embarqué, ou qu’un jeune homme diabétique a trouvé la mort dans un poste de police parce que les agents ne lui ont pas permis d’avoir la dose d’insuline dont dépendait sa vie, et d’autres faits divers tout aussi dramatiques dont les médias ont pourtant rendu compte avec moult détails. Sans parler des agressions policières dont sont souvent victimes les journalistes et les militants de l’opposition lors des mouvements de protestation.

Au contraire, on a vu le président de la république, à chaque fois qu’il s’est trouvé en difficulté politique, faire la fleur aux forces de l’ordre en allant lui-même à leur rencontre dans leur antre, le bâtiment du ministère de l’Intérieur, comme pour chercher leur protection face à ses opposants, ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait fait avant lui. Ces visites, souvent nocturnes, pouvaient, en effet, être interprétées comme une sorte d’appel à l’aide, un aveu de dépendance et un blanc-seing pour ses hôtes qui peuvent agir en toute liberté, tout en se sachant protégés par la plus haute autorité de l’Etat. C’est en tout cas ainsi que ces visites ont été interprétées par ces chers «flics», qui sont de fins analystes et qui, surtout, en ont servis des autocrates par le passé et savent déceler leurs failles psychologiques.

Ces «Bok-bok» qui adorent se faire berner

Sur un autre plan, et pour parler des douaniers, autres agents en uniforme, qui plus est armés, on remarquera sans peine que leur tableau de chasse est on ne peut plus maigre : c’est souvent le menu fretin des seconds couteaux qu’ils ciblent par leurs actions spectacles destinées à jeter de la poudre aux yeux (comme ce fut le cas avant-hier soir au quartier Le Passage à Tunis), pour faire croire qu’ils font leur boulot dans la lutte contre la contrebande, laquelle n’a jamais autant fleuri qu’aujourd’hui dans toutes les régions du pays.

Or, tous les Tunisiens savent que si la contrebande fleurit à tel point dans le pays, c’est, en grande partie, grâce au laxisme d’un grand nombre de douaniers qui se sucrent au passage et maintiennent des relations cordiales avec les barons des trafics de toutes sortes qu’ils connaissent pourtant très bien mais évitent de confronter pour des raisons qu’on devine aisément.

Allez parler de l’intégrité des douaniers aux Tunisiens résidents à l’étranger qui se font souvent  racketter à leur retour au pays par des douaniers ripoux au port de La Goulette, lesquels refusent d’ailleurs souvent le bakchich en dinar et exigent de se faire «payer» en devises étrangères !

Allez aussi parler de l’honnêteté des douaniers et de leur dévouement à la protection des intérêts supérieurs de la nation aux Tunisiens qui ont vu de leurs propres yeux des douaniers galonnés recevoir de l’argent du «hammas» (vendeur de pois-chiche) du coin qui vend du tabac de contrebande au vu et au su de tout le monde !  

Allez aussi convaincre ces mêmes Tunisiens que la douane fait son boulot dans la lutte contre la contrebande alors que des conteneurs entiers contenant des produits de contrebande pénètrent librement dans le pays et passent chaque jour comme une lettre à la poste à travers les principaux ports commerciaux du pays, de Bizerte à Sfax, en passant par Radès et Sousse, pour être vendus dans les grands marchés spécialisés dans l’informel (Moncef Bey à Tunis et les autres) que tous les citoyens fréquentent et où des dizaines de millions de dinars sont échangés chaque jour, au grand jour mais au noir !

Non vraiment, cette fable de la lutte contre la contrebande, il n’y a peut-être que le président Saïed qui y croit ou fait semblant d’y croire, s’il ne l’utilise pas lui-même pour berner les «Bok-bok» qui adorent se faire berner !

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