Le temps est venu pour mettre fin aux abus bancaires et tous ces taux usuraires et excessifs imposés injustement et indûment aux investisseurs, consommateurs et sociétés d’Etat en Tunisie. Il faut plafonner les taux d’intérêt (les caper). C’est faisable et la Tunisie doit procéder dans ce cadre en tenant compte de la capacité des PME à payer les intérêts composés et hypertrophiés par les augmentations successives du taux directeurs.
Par Moktar Lamari *
Ce dans un nouveau cadre que l’Etat peut limiter les abus bancaires et les errements des politiques monétaires. Un nouveau cadre qui contraste avec les pratiques actuellement en vigueur.
L’islam, dont se réclame la nouvelle constitution, a pourtant banni le ribaa, ces taux usuraires et spéculatifs, mais rien à faire, Money is money, et tous les partis religieux ayant gouverné depuis 2011, ainsi que la Banque centrale ont laissé faire (donnant-donnant). Ils ne veulent surtout pas toucher aux taux d’intérêt des banques et autres usuriers, usurpateurs et rentiers de service. Les banques agissent en oligopoles, faisant fi des principes de la concurrence et du marché libre.
Assez c’est assez!
Le président Kaïs Saïed doit agir rapidement pour mettre fin à ces politiques monétaires abrasives pour l’investissement, répressives pour les titulaires de comptes bancaires… et qui déplument les opérateurs économiques en plein jour.
Mhemed J., rencontré devant la succursale d’une banque connue à Houmt Souk, Djerba, était furieux, sa banque lui impose un taux d’intérêt de 16%.
Moncef L. justifie l’explosion des tarifs de locations de voiture à l’aéroport de Tunis, avouant que sa banque lui prête de l’argent pour renouveler son stock de voitures à 18% des taux d’intérêt quand on tient compte de tous les agios et frais cachés. Et il ajoute qu’avec ce taux il paye la voiture pour laquelle il a eu l’emprunt et le prix d’une autre voiture équivalente en intérêt, juste en 4 ans de contrat. Un beau cadeau pour la banque…
De quoi s’agit-il ?
Les taux d’usure sont aussi appelés des seuils de l’usure, c’est tout simplement ces taux d’intérêts dont le taux excessif dépasse l’entendement. A prendre ou à laisser, les banques tunisiennes agissent en oligopole protégé par le concept d’indépendance de la Banque centrale.
Ceux qui ont fait un minimum d’études en économie savent qu’un prêt est dans les normes, s’il reste proche du taux annuel effectif global (TAEG), qui comprend le taux d’intérêt de base – aussi appelé taux nominatif –, les frais, les commissions, les rémunérations diverses ainsi que les primes d’assurance emprunteur.
Quand le TAEG dépasse le taux d’usure, ce prêt est considéré comme usuraire, ou abusif, et donc illégal.
Dans les pays civilisés et démocratiques, ce type de délit est passible de deux ans d’emprisonnement pour le PDG de la banque et de 300.000 de dollars US d’amende, par contrat abusif.
La pénalisation aidera la mise en œuvre et l’application du principe de plafonnement.
Applications et implications
Visant à accroître la protection des emprunteurs, le principe du taux d’usure est appliqué à tous les prêts, qu’il s’agisse de crédit à la consommation pour les particuliers, de crédit immobilier, ou encore de crédits accordés aux sociétés d’Etat, aux entreprises privées et aux collectivités locales.
Cela concerne également les prêts à taux fixe ou variable, les découverts ou encore les crédits renouvelables. Le taux d’usure ne s’applique pas en revanche sur le paiement fractionné, qui n’est pas considéré formellement comme du crédit.
Le calcul du taux d’usure est en principe estimé périodiquement à partir des donnés disponibles dans les banques centrales, ou du moins les banques centrales qui jouent la transparence. Au moins, une fois par trimestre.
Techniquement, en France, il correspond aux «taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit augmentés d’un tiers», selon les cas et les contextes socio-économiques. Ce taux est aux alentours de 4%, pas plus!
Les seuils de l’usure sont publiés au Journal officiel à la fin de chaque trimestre pour le trimestre suivant. Ils sont donc en décalage de quelques mois. Ces seuils varient en fonction du montant, de la durée et de la catégorie de prêts (crédit à la consommation, prêts à taux fixe ou variable, découvert en compte, crédit renouvelable, etc.).
Sortir du cadre, innover …
Si le taux d’intérêt moyen utilisé pour accorder un prêt, disons à un hôtelier ou une agence de location de voiture, est de 12% (TMM+3%+2% d’agios), on doit fixer le seuil à partir duquel le taux comme étant usuraire ou excessif, s’il dépasse de 20% le taux de 12% (soit 12% +2,4% = 14,4%).
Ainsi, en Allemagne, la jurisprudence considère en général qu’un taux est excessif au-delà du double du taux moyen. Encore aujourd’hui, les banques allemandes prêtent à 3% (tous compris). On peut comprendre que l’Allemagne considère qu’au-delà de 6%, c’est un taux excessif.
L’Italie définit un taux d’usure trimestriel à 150% du taux global moyen.
En Espagne ou au Royaume-Uni, ce sont aux tribunaux de juger si un taux est ou non excessif.
Les statistiques portant sur les taux d’usure sont produites par les banques et par les courtiers. Selon ces derniers, étant donné la vitesse à laquelle les taux moyens de crédit remontent, de nombreux particuliers risquent d’être bloqués par le taux d’usure qui ne remonte que tous les trois mois.
Ce type de plafonnement par l’Etat des taux usuraires n’atteint pas le principe de l’indépendance des banques centrales; il vient juste taper sur les doigts des politiques monétaires excessives, répressives et mal calibrées pour le contexte.
A se demander si le président Kaïs Saïed ose faire un geste dans ce sens. Par décret et par un discours rassurant. Il doit savoir que les spéculateurs se logent aussi dans plusieurs gros buildings sur Mohamed V, derrière des vitres feutrés et impénétrables par les agents de la police et les douaniers.
L’économie en a besoin : la Tunisie a besoin de plus de capital accessible, abordable et plus de réglementations pour endiguer les spéculateurs et les usurpateurs qui se logent au sein des banques et même dans les locaux de la Banque centrale. En période de crise, on doit se partager le fardeau … On doit continuer à investir par des taux d’intérêt abordable! Comme au Maroc, comme en Jordanie, comme en France, et ailleurs…
Une telle initiative, peut procurer des votes aux supporteurs politiques du président Saïed, et peut constituer un vrai geste pour venir en aide à l’économie, tout en mettant un peu de discipline et d’encadrement aux politiques monétaires menées sans résultats par la Banque centrale de Tunisie.
La Tunisie a besoin de type de taux flexible, mobile sur les taux moyens du marché, une telle réglementation ne touche pas aux mandats de la BCT en matière de fixation du taux directeur, ou à son indépendance à l’égard du gouvernement.
* Economiste universitaire au Canada.
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