Ancien dirigeant du parti islamiste Ennahdha, qui a tourné casaque pour se mettre au service de Kaïs Saïed au lendemain de l’accès de ce dernier à la tête de l’Etat, Imed Hammami a du mal de convaincre les Tunisiens de la sincérité de ses engagements successifs. Accusé de trahison par ses anciens «frères musulmans», il est considéré comme un intrus par les partisans de Kaïs Saïed, son nouveau gourou.
Par Imed Bahri
Ce natif de 1964 à Beni Khalled (Nabeul), qui n’a pas terminé sa formation d’ingénieur, a connu son heure de gloire au lendemain de l’accession d’Ennahdha au pouvoir en 2011, en étant nommé trois fois ministre entre 2017 et 2018 : Emploi et Formation professionnelle (1 an et 16 jours), Industrie et PME (2 mois et 6 jours), et Santé publique (11 mois et 27 jours). Il n’a cependant pas laissé des souvenirs impérissables de ses mandats gouvernementaux. Les Tunisiens n’en retiennent, en tout cas, que ses bourdes, ses bégaiements et son débit lent qui endort les auditeurs lors de ses passages médiatiques.
Au sein d’un parti essentiellement constitué de vieux militants moyenâgeux et dénués de toute compétence en matière de gestion des affaires publiques, Imed Hammami a été propulsé, pendant quelque temps, sur les devants de la scène politique nationale, comme une figure jeune, avenante et vaguement moderne. Mais son bilan, si l’on peut parler de bilan, dans tous les postes qu’il a occupés, a été quasi-nul : paroles, paroles, paroles… dirait l’autre.
Tourner dans le sens du vent
On retiendra néanmoins à son actif le fait qu’il a été parmi les premiers dirigeants islamistes à avoir critiqué ouvertement le président d’Ennahdha Rached Ghannouchi, dénoncé sa gouvernance monolithique et exigé son départ pour permettre au mouvement de régénérer et de se replacer sur une scène politique qui lui échappe au fil des rendez-vous électoraux. C’était au lendemain de son départ du gouvernement. Était-ce par dépit ou parce qu’il a senti le vent tourner ou par conviction démocratique ?
Un grand nombre de Tunisiens doutent de la sincérité de l’homme, et même après avoir rejoint l’orchestre des adulateurs de Kaïs Saïed, son image est restée très brouillée et ses interventions médiatiques tournées en dérision par les partisans même du président de la république qui le considèrent toujours comme un intrus et un opportuniste. Mais il en faut plus pour impressionner cet homme lent dans la détente, qui croit toujours à sa bonne étoile et qui n’est pas prêt à lâcher le morceau : le pouvoir, on le sait, est un sacré aphrodisiaque et quand on en a goûté, on ne peut plus s’en passer.
C’est ainsi que l’ancien dirigeant islamiste a annoncé son intention de se présenter aux élections du Conseil national des régions et des territoires, la seconde chambre parlementaire créée par la nouvelle constitution promulguée par le président Saïed. Il réagissait ainsi par téléphone dans la Matinale de Shems FM, ce jeudi 29 septembre 2022, au refus du Mouvement du 25-Juillet de participer avec lui.
De l’islamisme de Ghannouchi au populisme de Saïed
«Les diffamations, les attaques et les actes irresponsables sont de l’adolescence politique et ne m’arrêteront pas», a-t-il lancé, en s’adressent aux dirigeants de ce mouvement qui se réclame, comme lui, du processus réformateur initié par Kaïs Saïed, tout en rejetant M. Hammami et ses semblables, comme une survivance de la «décennie noire», celle du règne d’Ennahdha.
Imed Hammami, qui tâte le terrain et cherche visiblement à se replacer sur la scène politique en faisant table rase de son passé islamiste et en commençant par le commencement, c’est-à-dire la représentation populaire, a affirmé qu’il croit au Conseil des régions et des territoires, lequel présente, selon lui, «une opportunité pour changer la réalité des Tunisiens en changeant le modèle de développement jusque-là en œuvre dans les régions, et ce en partant de l’expression des jeunes des zones défavorisés.»
«La deuxième chambre apportera une véritable révolution dans le processus de développement car elle est basée sur les attentes des citoyens dans les régions», a encore lancé Imed Hammami, qui semble se dire : «Si l’islamisme de Ghannouchi n’a pas permis d’améliorer la vie des gens dans le profond pays, le populisme de Saïed pourrait peut-être y parvenir». C’est là en tout cas sa nouvelle antienne. S’il y croit dur comme fer, ou feint d’y croire, il devra cependant en convaincre aussi les électeurs pour espérer pérorer demain sous la coupole du Bardo.
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