Les partis, en tout cas ceux qui comptent et qui ont prouvé leur capacité de mobilisation lors des précédentes consultations électorales, ont tous annoncé qu’ils ne participeront pas à la mascarade électorale que prépare le président Kaïs Saïed et ce, pour ne pas cautionner ses décisions illégales et sa dérive autoritaire. Peut-on raisonnablement leur reprocher une telle décision à laquelle ce dernier les a acculés ? (Illustration : Kaïs Saïed, un roi sans couronne).
Par Imed Bahri
Les partis politiques peuvent présenter des candidats aux législatives du 17 décembre 2022, mais ils n’ont pas le droit de mener des campagnes électorales sous leur nom et leur bannière. C’est tout le paradoxe de la nouvelle loi électorale promulguée par décret présidentiel le 15 septembre dernier et dont le principal objectif est, à l’évidence d’affaiblir et de marginaliser les corps intermédiaires.
Les partis mis au dos du mur
Dans une déclaration jeudi dernier, 29 septembre, à l’agence Tap, le porte-parole de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), Mohamed Tlili Mansri, a confirmé cette interdiction, en précisant que seuls les candidats peuvent mener des campagnes électorales en tant que membres de partis politiques. Il a ajouté que l’instance électorale traitera les candidats en tant que personnes ayant le droit de faire une campagne et de présenter leurs programmes électoraux, abstraction faite de leur appartenance à tel ou tel parti.
Sachant que les prochaines législatives se dérouleront avec un mode de scrutin uninominal à deux tours, dans 161 circonscriptions électorales pour autant de sièges parlementaires mis en jeu, le porte-parole de l’Isie a affirmé que les partis politiques qui ont annoncé le boycott des élections ne sont pas concernés par la campagne électorale, parce qu’ils n’auront pas de candidats. Traduire : ils n’auront pas le droit de s’exprimer dans les médias et encore moins d’appeler les électeurs à ne pas aller aux urnes, ce qui, dans toute démocratie, fait partie de la liberté d’expression accordée à tout citoyen, au-delà de son appartenance partisane.
Un président omnipotent impose sa loi
En attendant la publication de la décision portant sur les dispositions de la campagne électorale, qui sera publiée avant le 25 novembre prochain, date du démarrage de la campagne, il apparaît clairement dès maintenant que le président Kaïs Saïed a réussi son coup, avec l’aide d’une instance électorale aux ordres, dont tous les membres ont été désignés par lui et lui sont redevables de leur poste.
En promulguant une constitution et une loi électorale à sa mesure, et en dehors de tout débat politique digne de ce nom, le locataire du palais de Carthage, qui semble déterminé à s’éterniser à son poste, a, en effet, réalisé l’objectif qu’il poursuit depuis la proclamation des dispositions exceptionnelles, le 25 juillet 2021, à savoir l’imposition d’un pouvoir personnel, la marginalisation des corps intermédiaires et plus particulièrement des partis. Lesquels, au vu desdites constitution et loi électorale, seront faiblement représentés dans la prochaine assemblée, ne pourront pas constituer des blocs parlementaires et encore moins peser d’un quelconque poids politique pour faire réviser ou retoquer les décisions qui seront prises par un président omnipotent, qui détient tous les pouvoirs, n’est responsable de rien ni redevable devant aucune instance constitutionnelle, ni pendant ni après son mandat présidentiel.
Avec la configuration institutionnelle qu’il est en train d’imposer aux Tunisiens, rien n’empêchera M. Saïed de mettre en place demain une Cour constitutionnelle à sa mesure et dont il désignera également lui-même tous les membres.
La république en danger
Les partis, en tout cas ceux qui comptent et qui ont prouvé leur capacité de mobilisation lors des précédentes consultations électorales, ont tous déjà annoncé qu’ils ne participeront pas à la mascarade électorale que prépare M. Saïed et ce, pour ne pas cautionner ses décisions illégales et sa dérive autoritaire. Peut-on raisonnablement leur reprocher une telle décision à laquelle M. Saïed lui-même les a acculés ?
Non, bien sûr, car quoi qu’en disent les partisans de M. Saïed, qui sont visiblement prêts à lui pardonner tous les écarts anti-démocratiques, qu’ils ont pourtant longtemps reprochés à Zine El Abidine Ben Ali et Habib Bourguiba, on ne peut pas construire une démocratie digne de ce nom en détruisant, non seulement les partis, mais également la politique en tant que telle, c’est-à-dire le libre exercice de la citoyenneté, qui est le fondement même de la république.
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