Face au président Kaïs Saïed, qui semble déterminé à aller jusqu’au bout de son projet d’instauration d’un système politique où il contrôle tous les leviers du pouvoir, l’opposition tunisienne, incapable de s’unir et de donner le change, affiche son impuissance. Et semble parier sur le chaos… (Illustration : bain de foule de Kaïs Saïed à Beni Khiar, sa ville d’origine: la popularité est une drogue qui fait tourner les têtes les mieux faites).
Par Ridha Kefi
L’opposition en Tunisie a sans doute raison : Kaïs Saïed est un apprenti dictateur et toutes ses décisions depuis la proclamation des dispositions spéciales le 25 juillet 2021 ne visent qu’un seul objectif : prendre en main tous les leviers du pouvoir. Le problème c’est que ses opposants, par leur division, leur stupidité et leur inefficacité, sont, à l’insu de leur plein gré, ses principaux «alliés».
Les apprentis opposants à l’apprenti dictateur sont tellement englués dans leurs divergences idéologiques et leurs querelles de leadership qu’ils sont incapables de se rassembler autour du plus faible dénominateur commun, d’élaborer une stratégie commune pour faire tomber le locataire du palais de Carthage et encore moins de faire entendre leurs voix inaudibles par des électeurs qui les ont vomis depuis belle lurette et sont prêts à suivre le diable en personne pour ne plus avoir à revoir leurs tronches.
Chacun veut rassembler, mais tout le monde divise
Résultat : le pays continue de sombrer dans la crise et Kaïs Saïed de blablater sans rien faire de concret pour essayer d’améliorer la situation, mais cela ne l’empêche pas de continuer à caracoler en tête des sondages de popularité.
Comme pour faire durer cette situation, dont 12 millions de Tunisiens payent la lourde facture, et continueront de la payer, eux et leurs descendants, les dirigeants des partis de l’opposition, chacun dans son petit coin, fait mine de croire qu’il est encore capable de rassembler tous les autres autour de sa petite personne. Néjib Chebbi, Abir Moussi, Ghazi Chaouachi, Hamma Hammami et bien d’autres, tout aussi crédules les uns que les autres, s’y sont essayés en vain. Cela n’a pas dissuadé Neji Jalloul, un autre rigolo de la scène politique, de s’y essayer lui aussi.
Le président d’un parti récemment créé, la Coalition nationale, a lancé cette semaine ce qu’il a appelé une initiative pour, selon ses termes, corriger le processus engagé par le président Saïed, et ce en œuvrant pour l’annulation du décret portant modification de la loi électorale, et en luttant ensemble par des moyens pacifiques et légaux pour faire échouer le projet politique du président de la république.
Ne se doutant de rien et croyant à sa bonne étoile, Neji Jalloul, auquel nous souhaitons beaucoup de succès, a déclaré, au cours d’une conférence de presse tenue à cet effet, que son parti espère que l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) rejoindra cette initiative, ainsi que tous les partis qui rejettent le décret portant amendement de la électorale.
Ladite initiative a été présentée à tous ces partis, a-t-il précisé, sans les nommer, et la Coalition nationale «attend toujours une réponse». Parions qu’elle attendra encore longtemps, car on voit mal les autres rigolos de la scène, qui se voient tous déjà en haut de l’affiche sinon au palais de Carthage même, se ranger derrière cet obscur universitaire.
Rien n’est durable ni définitif
L’ancien dirigeant de Nidaa Tounes, qui fut un éphémère ministre de l’Education et eut un court moment de gloire en croisant le fer avec l’UGTT, se donne pour objectif de faire promulguer une nouvelle loi électorale qui «réponde aux conditions de la démocratie et ouvre la porte à une concurrence loyale», considérant que le projet politique de Kaïs Saïed «est dangereux et risque de conduire à la désintégration de la Tunisie» («somalisation», dit-il).
Les critiques que Neji Jalloul adresse à la nouvelle loi électorale promulguée le 15 septembre dernier, à seulement trois mois des législatives anticipées, sont les mêmes déjà exprimées par la plupart des partis, des organisations de la société civile et des experts constitutionnalistes, mais on ne peut pas dire qu’il a proposé des solutions réalisables à court terme pour tenter d’inverser le cours irréversible des changements institutionnels impulsés, unilatéralement et en dehors de tout débat national, par le président Saïed.
En fait, M. Jalloul s’agite et ajoute à l’agitation ambiante, son ambition étant beaucoup moins de changer quoi que ce soit ou de prendre la direction d’une opposition qui ne le reconnaît pas comme un possible chef, mais seulement de faire acte de présence et d’exister, en prenant date pour l’avenir. «La situation sociale est devenue explosive et le président Saïed est assis sur un volcan. Il est temps de sortir du bois et de blablater dans les médias, sait-on jamais», doit-il se dire, surtout qu’en bon historien, il sait – et il n’a cessé de le répéter lors de ses passages dans les médias – qu’«en politique rien n’est durable ni définitif et tout peut changer à tout moment».
L’espoir, comme on dit, fait vivre. Reste que le pari sur le chaos, s’il ouvre la porte à tous les excès, ne garantit rien à personne. Autant dire que l’irresponsabilité campe aussi bien à Carthage qu’en dehors…
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