Les amendements de la loi électorale décidés par le président tunisien Kaïs Saïed vont probablement donner lieu à une législature dépourvue de pouvoir, atomisée et moins représentative, et surtout mal outillée pour organiser une opposition vigoureuse à sa dérive autoritaire.
Les amendements de la loi électorale décidés par le président tunisien Kaïs Saïed vont probablement donner lieu à une législature dépourvue de pouvoir, atomisée et moins représentative, et surtout mal outillée pour organiser une opposition vigoureuse à sa dérive autoritaire.
Par Sarah Yerkes & Mohammad Al-Mailam *
Le président tunisien Kaïs Saïed a publié une nouvelle loi électorale le 15 septembre. Les nouvelles règles régissent les élections législatives de décembre et lui confèrent des pouvoirs étendus avant, pendant et après le vote.
Les élections remplaceront le Parlement démocratiquement élu, que Saïed a dissous à la suite de son auto-coup d’État du 25 juillet 2021. La loi ne s’applique qu’à l’Assemblée des représentants du peuple, les dispositions concernant la chambre législative secondaire nouvellement créée, le Conseil national des régions et des districts, devant être publiées ultérieurement.
La loi est un nouveau coup porté au progrès démocratique de la Tunisie. Elle affaiblit gravement les partis politiques, l’une des principales cibles de Saïed pendant son mandat, et supprime les quotas pour les femmes candidates et les candidats de moins de 35 ans qui ont aidé la Tunisie à progresser dans sa législature vers la parité entre les sexes et l’âge.
Fin du système électoral basé sur les partis
Alors qu’il y avait une certaine crainte que Saïed utilise la loi pour interdire complètement les partis ou ses opposants politiques, il a plutôt choisi une voie plus indirecte, mettant fin au système électoral basé sur les partis et faisant passer la Tunisie à un système politique centré sur les individus.
Les dispositions rendent beaucoup plus difficile pour les individus de se présenter aux élections, en appliquant des exigences trop lourdes. Par exemple, pour pouvoir se présenter, les candidats doivent soumettre à la fois leur programme de campagne ainsi que 400 signatures d’électeurs inscrits qui ne peuvent approuver aucun autre candidat. Il élimine également le financement public des campagnes électorales, favorisant les candidats les plus riches qui n’ont pas besoin de compter sur ce financement pour se présenter aux élections.
La loi restreint également de manière significative le nombre de ceux qui peuvent se présenter aux élections, empêchant les citoyens tunisiens naturalisés sans parent tunisien de déclarer leur candidature. Elle empêche les imams, les membres du gouvernement, les dirigeants d’associations sportives et les directeurs d’administrations publiques de se présenter aux élections dans l’année suivant l’exercice de leurs fonctions. Elle empêche également les citoyens binationaux de se présenter dans les circonscriptions nationales, bien qu’ils puissent toujours se présenter dans l’une des circonscriptions tunisiennes de l’étranger (comme celles d’Europe ou d’Amérique du Nord).
L’exclusion délibérée des opposants
Le plus troublant c’est que la nouvelle loi empêche quiconque a déjà été accusé d’une violation de la loi de se présenter. Cela survient alors que le gouvernement de Saïed a lancé une répression sévère contre ses opposants politiques, accusant nombre d’entre eux de crimes électoraux. Avec le récent décret de Saïed, largement condamné, qui criminalise la publication de fausses nouvelles ou de rumeurs, cela ouvre la porte au président pour empêcher quiconque l’a critiqué de présenter sa candidature.
La loi donne également au gouvernement le pouvoir de déchoir les législateurs de leurs fonctions et de leur candidature à vie s’ils sont reconnus coupables de recevoir des dons illicites. Saïed a accusé plusieurs de ses opposants politiques de recevoir de tels dons. Cela lui ouvre la porte pour leur interdire à vie de participer à la politique tunisienne.
Plusieurs des principaux partis politiques ont annoncé qu’ils boycotteraient les élections de décembre, considérant l’ensemble du processus comme illégitime. Le résultat des changements de Saïed sera probablement une législature dépourvue de pouvoir, atomisée et moins représentative, intentionnellement mal outillée pour organiser une opposition vigoureuse à la dérive autoritaire de la Tunisie.
* Sarah Yerkes est chercheuse principale du programme Moyen-Orient de Carnegie, où ses recherches portent sur la politique tunisienne. Mohammad Al-Mailam est boursier junior James C. Gaither du programme Carnegie Moyen-Orient.
** Les intertitres sont de la rédaction.
Donnez votre avis