En recevant la cheffe de gouvernement Najla Bouden, dans la soirée du vendredi soir 28 octobre 2022, au Palais de Carthage, le président de la république, Kaïs Saïed, a utilisé des expressions d’une inquiétante assez ambiguïté, et qui semblent empruntées au discours officiel qui était en vogue en Tunisie et dans les pays du tiers-monde dans les années 1960-1980 pour stigmatiser l’opposition et justifier la répression.
Par Imed Bahri
Selon le communiqué officiel publié par la présidence de la république à l’issue de la rencontre, «la rencontre a abordé de nombreuses questions d’actualité, notamment les équilibres financiers de l’Etat, et la nécessité pour chacun de contribuer aux efforts déployés dans ce cadre, notamment à la lumière des transformations majeures que connaît le monde aujourd’hui.»
Le président de la république a également «souligné la nécessité de mettre en œuvre un certain nombre de textes qui préservent les institutions de l’État, car de nombreux signes et indices indiquent qu’il y a des personnes qui cherchent à porter atteinte à l’État en offensant ses symboles (traduire : le président de la république, Ndlr), et en se jetant dans les bras des puissances étrangères qui se vantent de s’immiscer dans les affaires de la Tunisie et d’empiéter sur sa souveraineté» , ajoute le communiqué.
Des déclarations inquisitoires
Tout en soulignant que les libertés sont aujourd’hui garanties en Tunisie, une simple figure de style, le président de la république s’est empressé d’ajouter, sous le ton de la menace et comme pour marquer une limitation à ces libertés, qu’«il n’y a pas de place pour le complot contre la sûreté de l’État», tout en appelant le ministère public à jouer son rôle et les tribunaux à appliquer la loi.
Le problème avec ce genre de déclarations inquisitoires qui utilisent des termes très généraux et supportant toutes sortes d’interprétations, même les plus abusives, c’est qu’elles ajoutent au trouble actuel dans le pays et aux craintes que le processus politique initié unilatéralement par le chef de l’Etat inspire aujourd’hui à beaucoup de Tunisien(ne)s qui n’ont jamais comploté contre l’Etat, ni n’ont cherché à porter atteinte aux symboles de l’Etat, ni ne se sont jetés dans les bras des puissances étrangères, mais qui ont de sérieuses craintes sur le devenir de leur pays et l’avenir de leurs enfants, et qui pensent, à tort ou à raison, qu’il est de leur devoir et de leur responsabilité citoyenne d’exprimer ces craintes et de tirer la sonnette d’alarme tant qu’il est encore temps d’agir pour éviter le pire, qui plus est dans le contexte d’un processus que l’on dit démocratique et respectueux des droit et des libertés, y compris celle d’expression, seule acquis de la «révolution» de 2011.
Une rhétorique ambiguë
La question que se posent les analystes après ces surprenantes déclarations du chef de l’Etat c’est de savoir quelles personnes ou quelles parties ces déclarations désignent-elles ainsi à la vindicte populaire et aux poursuites judiciaires.
La rhétorique ambiguë à laquelle recourt souvent le président Kaïs Saïed, pour ne pas avoir à désigner nommément ses adversaires, pourrait être assimilée à une tactique d’évitement lui permettant de ne pas laisser deviner son prochain coup sur l’échiquier politique. On pourrait aussi penser que c’est de bonne guerre, sauf que cela pose vraiment problème, s’agissant d’un chef d’Etat, dont la parole, pour atteindre son but, ne doit pas prêter à confusion, donner lieu à des interprétations ou susciter des quiproquos voire des suspicions et des brouilles. Qui plus est, dans un pays aux prises avec une grave crise dont personne ne voit vraiment l’issue. Et qui a surtout besoin de clarté, de rigueur et de confiance pour gagner en crédibilité auprès de ses propres enfants et de ses partenaires internationaux.
A bon entendeur…
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