En Tunisie, on n’a pas fini de réinventer la démocratie : ne voilà-t-il pas qu’à un mois des législatives du 17 décembre prochain, la commission électorale continue d’improviser et d’imposer de nouvelles règles électorales ? Cela n’arrive que dans les républiques bananières, et la Tunisie est une république bananière, et il ne se passe pas un jour sans que ses dirigeants nous en apportent des preuves supplémentaires. (Illustration : vous voulez organiser des élections, demandez à Farouk Bouasker, il vous les fera sur mesure).
Par Imed Bahri
Les choses se passent ainsi : le président de la république Kaïs Saïed dissous le parlement en place, proclame l’état d’exception, décide de législatives anticipées et en fixe la date, et à quelques mois du rendez-vous électoral, et sans consulter les parties concernées, promulgue une constitution qui définit le nouveau système politique, hyper-présidentiel pour ne pas dire autocratique, et une loi électorale, les deux par décret, et c’est à la commission électorale, dont tous les membres sont également nommés par le chef de l’Etat, de se débrouiller pour mettre de la cohérence dans ce qui n’en a visiblement pas, de conformer le processus électoral aux desideratas du Guide suprême, quitte à improviser au fur et à mesure, sans craindre le ridicule.
Des élections aussi folkloriques que les précédentes
Voilà où nous en sommes aujourd’hui, à la veille d’élections qui s’annoncent aussi folkloriques que les précédentes où plusieurs circonscriptions n’ont même pas de candidats et où plusieurs candidats sont déjà élus sans avoir encore fait campagne, faute de concurrents. Quant aux rares partis qui y participent – puisque la majorité d’entre eux, et les plus importants, les boycottent – ne savent pas encore si leurs candidats auront le droit d’arborer leurs couleurs lors d’une campagne électorale dont personne ne sait comment elle va se dérouler, beaucoup de choses restant encore confuses.
C’est dans le cadre de cette gabegie générale, et alors que la plupart des observateurs et des analystes prédisent déjà un fiasco électoral avec un taux d’abstention record, la majorité de la population ayant la tête ailleurs et ne voyant aucun intérêt à des élections presque imposées, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), qui n’a d’«indépendant» que le nom, a cru devoir rendre samedi 12 novembre la décision n°30/2022 qui modifie celle de 2014 relative au financement de la campagne électorale. Comme ça, «lilet salallah», comme on dit en arabe tunisien, alors que les candidats sont censés avoir déjà tout préparé pour réussir leurs campagnes et s’apprêtent à se jeter dans l’arène ?
«La nouvelle décision remplace plusieurs articles de l’ancien texte tout en tenant compte des amendements à la loi électorale en vertu du décret n° 55 promulguée en septembre dernier», nous apprend la Tap, l’agence officielle d’information, sans sentir la nécessité de relever l’inanité de ces tripatouillages de dernière minute, comme si cela allait de soi. Et d’ajouter, citant la même source : «La décision de l’instance électorale interdit aux partis politiques de financer la campagne de leurs candidats aux élections législatives et présidentielles. Les financements déguisés sont également interdits ainsi que les financements étrangers ou inconnus ou générés par le blanchiment d’argent».
Un déballage de fausse rigueur et de molle fermeté
«Les dispositions maintenues incluent l’ouverture obligatoire d’un compte bancaire ou postal unique et la nomination d’un responsable financier pour la campagne. Ceci en plus de confier à la Cour des Comptes la mission de notifier ceux qui n’ont pas réussi à ouvrir un compte bancaire ou dont le financement dépasse le plafond du retrait des candidatures», lit-on encore à propos de la nouvelle décision qui prévoit également «des peines de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans pour les listes, candidats ou partis qui enfreignent les règles de financement des campagnes.»
Quand on sait que tous les abus commis lors de toutes les précédentes élections depuis 2011 et signalés par les instances de contrôle, notamment la Cour des comptes, n’ont vraiment pas été sanctionnés, ces «menaces» peuvent prêter à sourire. Et tout ce déballage de fausse rigueur et de molle fermeté ne trompe personne. On fait comme si, mais tout se passera comme toujours. Tous les abus seront commis au vu et au su de tous, et l’Isie, pas plus que les autres instances concernées, n’y trouveront rien à y redire. Et encore une fois, le parlement qui sera issu de la prochaine mascarade électorale prendra place sous la coupole du Palais du Bardo, et il ne nous restera qu’à réserver des places pour assister au spectacle de grands guignols que nous offriront nos chers représentants du peuple, qui ne représentent en réalité que leurs petits calculs opportunistes : allégeance à leurs maîtres du moment contre de menus privilèges sonnants et trébuchants.
Ce sera, on l’a compris, demain comme hier, la démocratie des copains, des coquins, des malins, des futés et des sans-gêne. Une médiocratie, en somme, où la seule perspective qui s’offre au peuple, c’est la descente en enfer, un peu plus chaque jour.
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