Tunisie : des incertitudes pèsent sur les législatives anticipées

A quelques jours du 17 septembre 2022, date de parution attendue du décret-loi électoral, étant donné que le décret électoral portant convocation des électeurs aux élections législatives anticipées, prévues le 17 décembre prochain, devrait être publié trois mois avant la date des élections, des zones d’ombre, d’incertitude pèsent grandement sur l’avenir et le devenir de ce texte-clé du processus électoral, suscitant ainsi appréhensions et inquiétudes parmi les spécialistes des questions électorales. (Kaïs Saïed reçoit Farouk Bouasker : les élections sont-elles un secret d’Etat ?).

Au lendemain de son entrevue, le 5 septembre, avec le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), Farouk Bouasker, le président de la république, Kaïs Saïed, a déclaré qu’«un projet de texte sur les élections sera élaboré en tenant compte des observations et des propositions qui seront soumises par les tenants au processus de réforme le 25 juillet (date du gel du parlement et de la proclamation des dispositions spéciales, Ndlr) et ceux qui se sont engagés dans le nouveau processus de refondation».

Les risques et dérives de la démarche unilatérale

Depuis, ces craintes sont en passe de devenir légitimes face à la persistance de Saïed à privilégier la démarche unilatérale et l’exclusion de plusieurs parties politiques.

Interrogé par l’agence Tap, le directeur exécutif de l’Observatoire Chahed, Naceur Harrabi, a mis en garde contre les risques et les dérives d’une telle démarche unilatérale, estimant que le peu de temps qui reste et l’obstination du président à faire cavalier seul en écoutant une seule partie, celle qui est d’accord avec lui, «ne contribuera pas à la construction d’une démocratie saine, et conduira ipso facto au boycott d’une large frange de l’échiquier politique des prochaines élections, et à la désaffection d’un grand nombre de citoyens à l’égard de cette échéance électorale majeure.»

Lors des prochaines législatives, la tendance semble faire prévaloir le mode de scrutin uninominal à deux tours, un système qui a ses vertus mais aussi et surtout ses insuffisances, à l’image d’ailleurs des autres modes de scrutin en vigueur dans le monde.

Néanmoins, la modification de la loi électorale n’est pas à elle seule suffisante pour garantir l’instauration d’un paysage politique différent de 2014 et 2019.

Commentant le mode de scrutin uninominal, Naceur Harabi a tenu à préciser qu’il n’y a pas de système électoral «idéal, parfait et irréprochable».

Pour lui, l’inconvénient majeur du système de vote uninominal est qu’il ne garantit pas une représentativité équitable de la femme, des jeunes et des personnes handicapées contrairement au mode de scrutin sur les listes aux plus forts restes.

Aussi, toujours selon notre expert, dans le cas du mode de scrutin uninominal, les candidats aux élections peuvent être des «personnes réputées pour leur honnêteté dans leurs régions» comme ils peuvent être des «personnes d’influence et d’argent qui se portent candidats pour leurs propres intérêts».

Un parlement disparate, émietté, malade

C’est dire, la ligne de démarcation entre «l’honnêteté» et «la corruptibilité» est tellement fine qu’il est difficile de la cerner, a-t-il fait savoir. D’où le sérieux risque, a-t-il prévenu, de voir se profiler devant nous un parlement disparate, émietté, malade de ses dysfonctionnements.

De son côté, la responsable du réseau Mourakiboun, Raja Jabri, a déclaré que le système de vote uninominal demeure tributaire des modes de découpage électoral lequel requiert un grand travail au niveau du découpage des circonscriptions, soulignant que le facteur temps ne le permet pas, ce qui peut pousser à l’adoption d’un découpage administratif «tronqué» qui ne tient pas compte des spécificités sociales de chaque région.

Elle a également rappelé les efforts déployés par la société civile pour assurer la parité verticale sur les listes en lice pour les élections législatives, afin d’assurer une forte représentation des jeunes et des femmes, regrettant que le système de vote uninominal ne prévoit pas des garde-fous, ce qui met en péril la représentation des femmes qui risque d’être le parent pauvre du prochain parlement. 

La nécessité d’assainir le climat électoral

Le secrétaire général du Mouvement populaire, Zouheir Maghzaoui, avait affirmé dans une déclaration à l’agence Tap, que la loi électorale ne se réduit pas au mode de scrutin uninominal ou sur les listes. Pour lui, la modification du seul mode de scrutin ne changera pas la donne. Bien plus, il faut veiller autant que possible à assainir le climat électoral des incivilités et des déviances qui ont gâché les élections au cours des dernières années.

Un point de vue partagé par une large frange de la société civile qui estime également que le succès d’un mode de scrutin est souvent tributaire de son «écosystème électoral», et que la garantie d’élections justes et transparentes nécessite un travail de longue haleine où contrôle et financement des partis et des associations doivent être toujours sous l’œil vigilant de la justice.

C’est ainsi que le directeur exécutif de l’Observatoire Chahed estime qu’il est impérieux de prêter toute l’attention requise à la justice électorale, d’élargir les délais de recours, et d’unifier le contentieux électoral au sein du Tribunal administratif, principal acteur juridictionnel en la matière.

Dans l’attente de la parution du décret-loi électoral, les prémices de son boycott son bel et bien là. Plusieurs formations politiques ne cessent de crier haro sur son avenir. Il suffit d’en citer le Front du salut national (FSN) de Néjib Chebbi, avec toutes ses composantes, et le Parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi.

D’après Tap.


 

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