La campagne flamboyante aux Etats-Unis était une leçon de démocratie. Avec l’argent, il y aura des députés plus ou moins honnêtes qui vont gouverner… le monde. La campagne misérabiliste en Tunisie va nous gratifier d »illustres inconnus venant de nulle part, qui vont s’empêtrer dans des débats cacophoniques, tellement le parlement sera éclaté et hétéroclite. C’est là, n’est-ce pas, toute la différence entre le développement et le sous-développement.
Par Mounir Chebil
En simple citoyen qui regarde la télé, j’ai dû suivre les chaînes étrangères qui ont focalisé leurs programmes, ces derniers jours, sur les élections législatives aux Etats-Unis. Organisées tous les quatre ans au milieu du mandat présidentiel (d’où leur appellation de «midterm elections»).
Ces élections de mi-mandat visent à renouveler les deux chambres parlementaires, soit la totalité des 435 sièges de la chambre des représentants et un tiers des 100 sièges du Sénat.
Plus qu’une compétition de personnes, un débat d’idées
Ce que j’ai saisi, c’est que les candidats à ces élections appartiennent à des partis politiques bien structurés : soit au Parti démocrate soit au Parti républicain. Chaque candidat défend un programme, non pas local et régional mais qui a une portée nationale. Il se rapporte à la crise économique et sociale, ainsi qu’aux solutions à apporter aux périls qui guettent la démocratie, la politique étrangère, la sécurité nationale, autant de thèmes qui interpellent la conscience de l’électeur et le mobilise pour l’intérêt général. Plus qu’une compétition de personnes, c’était un débat d’idées. Certes, comme dans toute campagne électorale, il y a du populisme, mais c’était juste de l’épice pour relever la sauce.
Le programme est celui du parti adapté au contexte de la campagne législative. Chaque candidat a toute une équipe pour lui fignoler ses discours, organiser ses meetings, sa campagne de presse, planifier les rencontres directes avec les citoyens qui ont besoin de serrer la main à leur candidat, ou recevoir un tape de lui sur la joue… Dans l’équipe, il y a même des experts en habillement qui le conseillent pour son paraître et des conseillers pour la diction ainsi que pour le sourire. Rien n’est laissé au hasard. L’équipe est dirigée par un chef qui chapeaute la campagne. Donc, derrière l’équipe, il y a le parti et surtout les finances du parti qui proviennent du produit des adhésions, des activités lucratives, des dons, du sponsoring et du lobbying. Car chaque parti a des lobbys qui le soutiennent pour essayer d’influencer, plus tard, certaines prises de décision.
On estime aux Etats-Unis que la loi est faite par les hommes et pour les hommes et que les législateurs réunis au congrès ont besoin d’être éclairés sur les intérêts en présence. Dans la vieille démocratie américaine, on reconnait «une utilité aux conversations de couloirs qui permettent aux acteurs de la vie réelle ou leurs porte-paroles appointés de faire connaître aux membres du congrès les vœux et les soucis que leur inspire la législation en cours d’élaboration.» *
Les Américains sont réalistes et pragmatiques. La politique, il lui faut de l’argent. Le misérabilisme et l’amateurisme sèment la confusion et cultivent la démagogie et la médiocrité.
Tout est clair pour tout le monde et la compétition est transparente et à armes égales. Tous s’accordent que la politique c’est la course pour le pouvoir et que le pouvoir est toujours au service des intérêts de la nation avec ses pauvres et ses riches, certes, selon des points de vue différents. Tout est question de dosage, de pouvoir mais aussi de contre-pouvoir et de compromis pour éviter les blocages.
L’équipe qui gagne est jugée sur ses résultats par rapport à son programme proclamé publiquement et sur sa capacité de réussir le dosage qui ne doit en aucune manière trop léser les pauvres gens trop regardants sur leur pouvoir d’achat, les prestations du service public et sur la sécurité. La campagne actuelle l’a bien démontré.
En Tunisie, Monsieur propre veut la propreté
Nous aussi en Tunisie nous sommes en période de campagne électorale pour les législatives. Mais contrairement aux élections américaines où la campagne est flamboyante et où l’argent est à profusion, ici on demande aux candidats de mener leur campagne discrètement, en solitaire, avec un budget pouvant juste couvrir le prix de quelques «capucins» (le cappuccino italien) et de quelques paquets de cigarettes de marque Cristal. Ce budget a permis de «faire» un président, Kaïs Saïed en l’occurrence, que dire pour un député. Qui peut le plus, peut le moins.
Le décret présidentiel du 15 septembre dernier qui tient lieu de loi électorale exige de celui qui postule à un mandat de parlementaire d’être parrainé par 400 électeurs (200 hommes et 200 femmes) pour que sa candidature soit acceptée. Donc, à pied, à bicyclette, en moto, en tacot, ou à dos d’âne, le postulant aux législatives doit faire du porte-à-porte pour avoir ces parrainages. Il n’a pas le droit de payer le café ou l’apéritif à celui qui va lui donner sa signature. Il n’a pas le droit d’offrir une fleur à la dame dont il sollicite le parrainage. Il ne doit être ni courtois ni galant. Pour le café, il peut être condamné pour achat de sympathie. Pour la fleur ou la courtoisie, il peut être accusé de harcèlement. Si on lui paye le café, il sera considéré comme corrompu.
Par conséquent, le candidat ne peut que faire le tour de ses proches, des membres de son clan ou de sa tribu ou de son quartier et gare au voisin ou au parent qui l’invite à un couscous ! Monsieur propre veut la propreté. Les candidats des partis suivront certainement ce parcours. Mongi Rahoui ne va pas compter sur les prolétaires, mais sur les membres de sa tribu comme pour les autres fois.
Les candidats qui seront retenus pour la course à l’hémicycle doivent se débrouiller pour faire un dépliant, un poster et monter une tente ici et là pour se présenter aux électeurs. Même pour ce maigre étalage, ils devraient tous justifier l’origine de leurs dépenses. Monsieur propre veut la propreté.
En guise de programme, le candidat à la députation, dirait soit qu’il rendrait la verte Tunisie encore plus verdoyante malgré la sécheresse, soit qu’il ferait tout pour dépoussiérer les rues de la circonsription où il se représente.
Le misérabilisme ne peut produire que de la misère
Avec ou sans programme, le candidat sera inéluctablement élu par ses amis et les amis de ses amis, par les membres de sa grande famille et par son clan ou sa tribu, et ce sont les patriarches qui lui draineront les moutons de panurge. Ces derniers égorgeront certainement des moutons pour les convives aux élections. Mais le candidat ne doit pas apparaître. L’œil de Big Brother veille sur tous. Le mieux, c’est qu’au jour du festin, il prend, devant témoins, un lablabi (bol de pois chiche) dans une gargote, la plus sale si possible, pour montrer ainsi patte blanche.
Certainement que malgré tous les garde-fous, l’argent va se faufiler dans le processus électoral et que peut-être des partis présenteront des candidats prétendument indépendants. Et grâce à leurs bas de laine, il y aurait des spéculateurs et des contrebandiers ou leurs hommes de paille au parlement, comme les autres fois.
Donc personne n’a de programme, sauf pour le parti d’Echaab, réputé pour son entrisme opportuniste et pour son adoration des dictateurs, et son programme, on le connaît, c’est libérer la Palestine et unifier la nation arabe. Et si ce n’est pas d’ici la fin de ce siècle, ce serait forcément après!
Des énergumènes essaieraient aussi de convaincre les électeurs de la capacité des extraterrestres à diriger ce pays. Le malheur, c’est qu’ils trouveraient une audience auprès de Tunisiens crédules qui ont désespéré des terriens.
La campagne flamboyante en Amérique était une leçon de démocratie. Avec l’argent, il y aura des députés plus ou moins honnêtes qui vont gouverner le monde. La campagne misérabiliste en Tunisie va nous gratifier d’illustres inconnus venant de nulle part, qui vont s’empêtrer dans des débats cacophoniques, tellement le parlement sera hétéroclite. C’est là, n’est-ce pas, toute la différence entre le développement et le sous-développement.
* Haut cadre à la retraite.
** Bernard Chantebout, « Droit constitutionnel et sciences politiques », édition Armand Colin, 6e édition, 1985, 328 pages.
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