Les historiens en parleront sans doute demain comme de la plus grande supercherie politique dont l’effronterie est drapée de bons sentiments souverainistes. On a parlé de l’initiative «Liyantasar Echaab» («Pour que le peuple triomphe»), lancée par une poignée d’opportunistes qui ont mangé à plusieurs râteliers avant de jeter leur dévolu sur le président Kaïs Saïed, leur champion du moment, en recourant à sa rhétorique populiste.
Par Imed Bahri
La formule trouvée est on ne peut plus contestable, sur les plans aussi bien politique que moral : profiter des législatives anticipées du 17 décembre prochain et des conditions discutables dans lesquelles elles se déroulent, avec des candidats sans vision ni idéologie ni programme, et qui briguent un siège sous la coupole du palais du Bardo pour profiter des privilèges qui y sont liés, pour en recruter le plus grand nombre et essayer d’en constituer, d’abord un groupe parlementaire et ensuite, si affinités, un mouvement politique, celui justement qui manque au président Kaïs Saïed, resté jusque-là un électron libre.
Les membres fondateurs de cette initiative, un ramassis de gauchistes rassemblés autour de Mongi Rahoui, en rupture de ban avec sa famille politique, et d’agitateurs sans couleur précise, de véritables caméléons qui ont épousé toutes les causes qu’ils estimaient gagnées d’avance.
A la recherche d’un rôle perdu
Réunis autour de la bannière d’un mouvement appelé «Pour que le peuple triomphe» (reprise du slogan de campagne de Kaïs Saïed «Le peuple veut») , ces derniers ont indiqué, lors d’une conférence de presse, mercredi 23 novembre 2023, que près de 400 candidats en lice pour les élections législatives du 17 décembre ont exprimé leur volonté d’adhérer à leur initiative, lancée fin octobre, et approuvé ses principes et orientations, ajoutant que près de 132 candidats l’ont officiellement adoptée, des candidats issus de plusieurs secteurs, tels que la santé, l’économie et l’administration.
Parmi les personnalités nationales qui représenteront l’initiative aux prochaines élections législatives figurent l’ancien bâtonnier Brahim Bouderbala, dont le mandat de bâtonnier des avocats vient de s’achever et qui était à la recherche d’un nouveau rôle, l’activiste politique Ahmed Chaftar, l’un des exégèses officieux de la sublime pensée du Guide suprême, et Othman Belhaj Omar, le secrétaire général du parti Baath, dont on connaît la propension à adorer les dictateurs les plus sanguinaires, de Saddam Hussein aux Assad père et fils.
L’initiative publiera prochainement son manifeste électoral qui comprend son programme avant le début de la campagne électorale le 25 novembre, apprend-on aussi. Il était temps…
Le membre fondateur – et membre de l’ancien bureau exécutif de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) Mohamed Ali Boughdiri, lui aussi à la recherche d’un nouveau rôle – a souligné que cette initiative est «ouverte à tous les militants», ajoutant que son lancement s’inscrit dans le cadre de la promotion de l’indépendance de la décision nationale, en agitant le mot magique de «souveraineté», celle d’un pays endetté jusqu’au cou et dont le gouvernement continue de faire la quête en frappant aux portes des bailleurs de fonds internationaux.
«Les élections législatives anticipées mettront fin à une décennie marquée par l’effondrement de la plupart des indicateurs économiques et sociaux du pays», a dit l’ancien dirigeant syndicaliste, en rappelant que l’initiative s’inscrit dans le processus du 25 juillet 2021, par allusion à la proclamation de l’état d’exception par le président Kaïs Saïed, dont lui et ses camarades cherchent à gagner l’appui pour exister politiquement.
Une grande soif de pouvoir
Mongi Rahoui, qui a été exclu récemment du Parti des patriotes démocrates unifié (Watad, extrême gauche), a indiqué, quant à lui, que la souveraineté nationale (encore ?) est l’un des principes les plus importants de cette initiative car «il s’agit de la souveraineté sur les ressources naturelles, l’économie et l’indépendance de la décision nationale».
Soit dit en passant, ces principes auraient dû, normalement, éloigner M. Rahoui, du président Saïed dont le gouvernement poursuit une politique hyperlibérale, dictée par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et les autres bailleurs de fonds occidentaux. Mais c’était sans compter avec la soif de pouvoir de cet ancien député dont les idées gauchistes cachent mal désormais l’opportunisme du militant en rupture de ban avec sa famille de toujours et qui cherche une nouvelle bannière sous laquelle il puisse briguer un poste à la mesure de ses ambitions.
Donnez votre avis