Quel avenir pour les partis politiques en Tunisie ?

Les Tunisiens, électeurs et candidats, participent à des élections législatives différentes et «étranges»… des élections sans partis, sans alliances ni fronts, ce qui conduit à s’interroger sur le futur positionnement de ces «formations politiques», et s’il est possible de parler de démocratie sans partis, sachant que le but de leur création et leur développement est d’accéder au pouvoir et de gérer les affaires publiques.

Par Ahlem Jabri  

Il est certain que l’absence des partis politiques, que ce soit délibérément suite à leur boycottage des élections, ou par leur absence forcée en raison des décisions du président de la république, de son programme, des lois et décrets ayant conduit au même résultat, en influant sur la position des partis comme pierre angulaire de la conduite de l’État et de la détermination de ses orientations générales d’une part, et sur leur relation avec les citoyens et leur capacité à les mobiliser et à les attirer.

L’analyste politique Salaheddine Jourchi estime, dans une déclaration à l’agence Tap, que «les partis politiques doivent comprendre et reconnaître que ce sont eux qui ont ouvert la voie à cette situation et l’ont provoquée en commettant de nombreuses erreurs que beaucoup d’entre eux refusent jusque-là d’admettre et de faire de vraies révisions», considérant que la poursuite des querelles et des conflits entre les partis trahit leur manque de maturité.

Les partis politiques souffrent d’une crise de crédibilité et refusent de reconnaître leur incapacité à se développer dans un contexte historique et politique nouveau et changeant, a indiqué Jourchi, soulignant la nécessité pour les partis d’accorder leurs positions dans n’importe quel contexte et à n’importe quelle étape, parce que ce qui se passe maintenant est une rupture avec tout ce qui a été réalisé auparavant sur la voie de l’établissement d’un système démocratique.

Des promesses irréalistes et irréalisables

«Ces formations politiques doivent reconnaître qu’elles sont faibles, fragiles et sujettes à des évolutions contraires, mais elles donnent l’impression d’ignorer leur rôle fondamental et stratégique dans le processus de construction démocratique», a encore dit Jourchi.

Pour sa part, le professeur d’histoire contemporaine et analyste politique Abdellatif Hannachi a expliqué à l’agence Tap que les partis politiques n’ont ni expérience réelle ni véritable culture politique, que ce soit avant ou après l’indépendance ou même après la révolution, à l’exception d’un petit nombre de partis à orientation idéologique comme le Ennahdha et le Parti des travailleurs, c’est pourquoi ils commettent toujours les mêmes erreurs malgré leur entrée dans l’arène politique et leur contribution à la gestion des affaires publiques depuis 2011.

En raison de leur expérience limitée en termes d’action politique et partisane et de relations avec les citoyens, ces partis ont, lors des élections, présenté des programmes et fait des promesses «gonflées, irréalistes et irréalisables», ce qui leur a fait perdre leur crédibilité aux yeux des citoyens, ainsi que leurs choix politiques contestables, notamment  des alliances et des discours «souvent extrémistes dans leurs revendications» et l’absence d’une véritable culture démocratique au sein même de leurs structures. Ce sont là autant de facteurs qui ont repoussé les gens et les ont éloignés d’eux.

L’analyste a également estimé que les partis ont donné d’eux-mêmes une image déformée, notamment celle véhiculée à travers leurs représentants au parlement au cours des dix dernières années. Par conséquent, depuis le 25 juillet 2021 (dissolution du parlement et proclamation de l’état d’urgence par le président Saïed, Ndlr), «une majorité de citoyens leur voue une sorte de haine inspirée par le niveau moral de leurs députés», a-t-il expliqué, indiquant que les scissions et les divisions au sein des partis et leur incapacité à élaborer un programme ont aggravé la répulsion qu’ils inspirent aux citoyens. Aussi, et pour ne pas rester sur la touche, doivent-ils faire de profondes révisions.

Il n’y a pas de démocratie sans partis

Jourchi considère, également, que les partis sont tenus de faire leur autocritique et de prendre conscience du fait que la situation est complètement différente de ce qu’elle était avant le 25-Juillet, et qu’ils doivent adopter de nouvelles stratégies et pratiques politiques, et faire des révisions radicales au niveau des objectifs et des programmes, indiquant à cet égard qu’une grande partie des partis en Tunisie n’ont pas de programmes, mais plutôt des slogans, et qu’ils vivent une crise dans leurs relations avec le public et ne savent pas bien communiquer avec lui.

L’analyste estime, par ailleurs, que le président Kaïs Saïed a marginalisé les partis, mais ces derniers sont toujours présents et ont un rôle à jouer, «parce que tout le monde est pleinement conscient qu’il n’y a pas de démocratie sans partis», à condition que ces derniers procèdent à des révisions fondamentales, sinon «ils resteront sur la touche et accéléreront eux-mêmes leur mort». Les partis sont tenus de reconsidérer leur histoire, d’examiner leurs expériences antérieures et de les soumettre à la lumière de la critique, afin de reconstruire de nouveaux leaderships et être en mesure de transformer leur faiblesse en force.

Abondant dans le même sens, Abdellatif Hannachi a souligné que ces partis sont incapables d’agir, et qu’ils ne font que réagir, et n’ont pas la capacité de formuler des programmes alternatifs ou de faire descendre des milliers de citoyens dans la rue et d’inventer des slogans qui attirent les masses, ajoutant que l’expérience de la transition démocratique a accumulé un certains nombre de leçons, dont la classe politique pourrait tirer un bénéfice pour se développer et évoluer vers une nouvelle culture et un nouveau comportement, à condition toutefois de procéder à une autocritique de leurs comportements et de leurs discours, qui soit réaliste et souple.

Hannachi a également indiqué que le plus dangereux pour les partis c’est la prédominance du narcissisme chez leurs dirigeants et l’absence de démocratie dans leurs structures et leurs actions, «parce que presque tous les dirigeants politiques en Tunisie se croient irremplaçables et refusent de céder leur place aux jeunes ou de donner à ces derniers la possibilité de s’investir dans les batailles électorales».

Des élections dénuées de crédibilité

Concernant l’avenir des partis politiques après les élections législatives, Hannachi a souligné qu’«il n’y a pas de démocratie sans partis et sans institutions partisanes.» Par conséquent, «ces élections, malgré l’échec des partis, perdront leur crédibilité». Elles ne propulseront pas non plus les partis et ne leur donneront pas le nouvel élan dont ils ont besoin pour se frayer une place à l’avenir car le vrai problème se trouve au sein des partis.

«Après les élections, il ne pourra y avoir de vie démocratique sans partis, et les partis ne peuvent pas disparaître complètement, mais leur nombre diminuera. Il restera entre cinq ou dix partis qui auront la capacité de survivre, mais ils continueront à être faibles et incapables de gagner le peuple à leur cause», a déclaré Hannachi, en rappelant que les erreurs accumulées par les partis ont provoqué chez les citoyens une certaine réticence à s’impliquer dans leurs activités et encore moins à intégrer leurs rangs.

Quant à la question de la formation de fronts et d’alliances, bien que cela soit considéré comme un moyen de restaurer la position des partis sur la scène politique, Slaheddine Jourchi a déclaré que la réalité exige que ces derniers se rencontrent dans le cadre de fronts selon la convergence des visions et des intérêts qui les unissent, mais à condition que ces alliances n’accumulent pas les erreurs commises dans le passé et ne reviennent pas aux rivalités et aux calculs étroits.

L’analyste a par ailleurs exprimé l’espoir que les partis finissent par surmonter leurs anciennes rivalités afin de construire un front large qui réussirait à changer le rapport des forces et à reconstruire l’équilibre politique dans le pays. Mais en attendant la composition parlementaire que produiront les élections législatives, issue d’éléments sans lien intellectuel ou idéologique entre eux, le sort des partis politiques reste inconnu, et s’ils vont se contenter de dénoncer et de menacer, d’autant plus que ce qu’ils vivent aujourd’hui est différent de ce qu’ils avaient vécu jusque-là. On n’est plus dans l’activisme clandestin ou des partis de décor qui ont longtemps meublé la scène politique.

Traduit de l’arabe par I. B.

Source : Tap.

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