Au lieu de quémander la générosité des Chinois et des Arabes du Golfe, la Tunisie ferait mieux de commencer par mettre de l’ordre dans la maison en procédant à une relance ambitieuse de son économie plutôt que de s’embourber davantage dans la diplomatie de la sébile et de la manche. (Illustration : Kaïs Saïed à son arrivée, jeudi soir, 8 décembre 2022; à Riyad).
Par Elyes Kasri *
Ceux qui prennent le gouvernement chinois pour le père Noël ont intérêt à faire preuve de réalisme et à tempérer leur enthousiasme ou plutôt leurs illusions.
Si la Chine accorde des dons ou des prêts concessionnels pour la réalisation de quelques projets d’infrastructure de taille petite ou moyenne, la majorité des projets sont financés par des prêts pour une réalisation clé en main comportant souvent, comme garantie de remboursement, une clause de prise de contrôle chinois en cas de défaut de paiement. Dans ce contexte, certains projets financés par des prêts chinois, à l’instar de l’aéroport de Kampala (Ouganda), ont défrayé la chronique.
De plus, il faudra se rendre compte que l’économie chinoise souffre actuellement des séquelles de la crise sanitaire et connaît quelques difficultés assez sérieuses notamment dans les secteurs financier et immobilier.
La Chine et la question ouighour
Si la Chine a intérêt à se rapprocher des pays arabes, notamment les exportateurs d’hydrocarbures et importateurs potentiels de produits et savoir-faire chinois, c’est plutôt dans le cadre d’un positionnement géostratégique en prévision de l’affrontement inéluctable avec les Etats Unis d’Amérique. Et surtout aussi pour essayer de désamorcer la bombe à retardement de la province du Xinjiang qui représente près du cinquième du territoire chinois avec une population musulmane turcophone dont un mouvement basé aux Etats-Unis réclame l’indépendance en accusant les autorités chinoises de mener à leur encontre une politique de persécution et de peuplement de leur province par l’ethnie Han. Ces accusations sont relayées par de nombreuses organisations et institutions internationales des droits de l’homme.
Si le Tibet et Taiwan semblent avoir un potentiel assez limité de déstabilisation de la Chine, toute volonté de faire chauffer le chaudron ouïghour risque de mettre la Chine dans une confrontation avec la communauté musulmane à l’échelle internationale avec le potentiel, à terme, de priver la Chine d’une province riche en ressources naturelles et essentielle à sa politique de développement de la route de la soie.
Le rôle de figurant de la Tunisie
Souffrant d’une érosion considérable de son influence internationale et de sa crédibilité financière, la Tunisie ne semble pas en mesure de tirer profit, comme elle aurait pu le faire il y a quelques années, du sommet sino-arabe.
L’absence de vision à long terme en matière de développement, condition essentielle de la coopération avec les Chinois, semble nous limiter à un rôle de figurant, tout du moins vis-à-vis des Chinois.
Quant aux Saoudiens, dont on attendrait un prêt généreux, il n’est pas exclu que le flirt poussé avec l’Algérie et la polémique superflue avec le Maroc, à l’occasion du sommet de la Ticad8, ne pèsent sur toute décision d’accorder un ballon d’oxygène à un gouvernement entretenant des relations tendues avec les partenaires des pays du Golfe et en tension avec l’administration et le congrès américains et conséquemment avec le FMI.
Au lieu de quémander la générosité des Chinois et des pays du Golfe, une libération de l’industrie du phosphate des obstacles sordides à son fonctionnement et une véritable politique de relance économique et d’allègement de l’engagement de l’Etat dans des activités non essentielles et déficitaires nous feraient gagner des investissements et des financements étrangers à de meilleurs termes que la mendicité pathétique à laquelle nous a habitués une classe politique pseudo révolutionnaire mais le moins que l’on puisse dire qu’elle donne, remaniement après remaniement, la preuve de son incapacité de faire face aux nombreux défis endogènes et exogènes auxquels se trouve confrontée la Tunisie.
Il serait plus judicieux pour les responsables tunisiens de commencer par mettre de l’ordre dans la maison en procédant à une relance ambitieuse de l’économie nationale plutôt que d’embourber davantage la Tunisie dans la diplomatie de la sébile et de la manche.
* Ancien diplomate.
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