‘‘Black Spartacus’’ : esclave, général et homme d’Etat face à la révolution française

C’est l’histoire d’un esclave devenu commandant d’armée qui mit fin à l’esclavage dans l’île de Saint Domingue, en chassa l’armée de Napoléon Bonaparte et mis un terme au rêve colonial français en Louisiane et en Floride, avant que sa dépouille ne se retrouve au Panthéon, à Paris. 

Par Dr Mounir Hanablia *

En 1802, lors de la bataille de la crête à Pierrot, les armées anti-esclavagistes composées de noirs et de métis, ainsi que de quelques blancs, avaient chargé en chantant ‘‘La Marseillaise’’ l’armée française du général Leclerc, venue d’au-delà les mers les combattre sur l’ordre du premier consul Napoléon Bonaparte. Cela résume déjà toute la complexité de la réalité politique qui prévalait.

Deux années plus tard, lors de la bataille de la Vertière, l’armée française du général Rochambeau avait été taillée en pièces par les esclaves affranchis du général Dessalines, marquant par la fin de la présence française, et l’indépendance de l’île de Saint  Domingue, située dans les Caraïbes.

Dien Bien Phu avait donc bien eu un précédent, tout comme d’ailleurs l’Algérie. En effet l’insurrection de Saint Domingue en 1791 avait révélé la face occulte de la révolution française, celle subordonnant la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dans les îles, aux intérêts du lobby colonial de Massiac, et ceux des propriétaires blancs esclavagistes des îles.

Un destin fabuleux et tragique

C’est dans ce contexte trouble qu’est apparu le personnage de Toussaint dit Louverture, cet esclave promu cocher d’un grand propriétaire créole éclairé, qui avait rencontré la révolution en lisant Rousseau et Raynal. Son destin l’avait d’abord conduit, des rangs des esclaves soulevés, à ceux de l’armée espagnole qui contrôlait l’Est de l’île, avant de choisir de se rallier à celle de la République Française. Il avait mis ses dons de conciliateur et de diplomate au service de ses supérieurs; c’est ainsi qu’il avait gagné la confiance du commandant en chef de l’armée avant de finir par le remplacer.

Les autorités françaises avaient bien envoyé successivement trois agents afin de s’assurer le contrôle de l’administration mais ce fut peine perdue; ils furent intimidés, isolés, et neutralisés.

Toussaint en supprimant l’esclavage s’était assuré le soutien d’une grande partie de la population, et son respect des vies et des biens des grands colons blancs lui en avait garanti au moins la sympathie. Il avait chassé les Britanniques des postes qu’ils occupaient dans l’île puis il avait établi des relations commerciales avec eux ainsi qu’avec les Américains. Il avait attaqué la partie Est de l’île, en avait chassé les Espagnols puis libéré les esclaves.

Saint Domingue avait été ainsi réunifiée et le commerce y avait connu un essor remarquable. Il avait enfin couronné son œuvre par la rédaction d’une constitution qui avait consacré une indépendance de fait qu’il avait toujours nié rechercher.

Mais tout cela ne s’était pas fait sans difficulté. Il y avait eu le soulèvement dans le Sud du général métis Rigaud, soutenu par les Britanniques, et qualifié de guerre des couteaux, marquée par des massacres. Puis il y eut la tentative de coup d’Etat de son neveu Moyse qu’il fit exécuter. Il avait fait face à l’hostilité des agriculteurs qu’il prétendait fixer dans les plantations grâce à un code du travail astreignant, perçu comme un retour à l’esclavage. 

Une inspiration pour les mouvements de libération  

Toussaint Louverture s’était assuré un pouvoir autoritaire dont la prétention avérée était  la liberté et le bonheur de tous les habitants indépendamment de leur appartenance ethnique. Tout ceci menaçait évidemment le colonialisme là où il prospérait le plus, tant dans les possessions anglaises ou espagnoles des Antilles, que les Etats esclavagistes des Etats Unis où en 1798 des bruits évoquaient le débarquement d’une armée noire venue de Saint Domingue libérer les esclaves.

Aussi une fois la paix d’Amien signée, les Anglais permirent à Napoléon Bonaparte d’envoyer en 1802 un corps expéditionnaire de 20.000 soldats restaurer la suprématie blanche sur Saint Domingue, liquider le pouvoir noir, et rétablir l’esclavage dans les îles, aboli en 1794.

Après quelques semaines de guérilla, Toussaint abandonné par plusieurs de ses généraux jugea préférable de gagner du temps en négociant, tout en tablant sur les terribles ravages que le climat des îles occasionnerait sur les Européens. Mais il fut trahi, déporté en France et emprisonné dans le fort de Joux dans le Jura, dans des conditions très dures, et au bout de huit mois il mourut.

Néanmoins dans la lutte contre l’esclavage, aux Etats Unis, au Venezuela, dans les îles Caraïbes, il devint le symbole de la capacité des noirs à se libérer avec succès de leurs chaînes, et Frederic Douglas, Marcus Garvey, Nat Turner firent son apologie. Les Irlandais en lutte contre l’occupation anglaise assimilèrent leur combat au sien, et le révolutionnaire cubain Fidel Castro s’en réclama. Le poète chilien Pablo Neruda salua sa mémoire. Aimé Césaire et Frantz Fanon, quoique pour des raisons différentes, en firent une source d’inspiration.

C’est l’ambiguïté de l’État  Français qui s’est finalement révélée intéressante. En 2001, la loi Taubira assimilait l’esclavage à un crime contre l’humanité. Des statues  représentant Toussaint, en général d’armée jacobin, furent bien dressées à la Rochelle, Nantes, Bordeaux, toutes des villes qui avaient servi de ports de transit en direction de l’Amérique et des Caraïbes, mais elles furent placées loin des centre villes, l’une parmi elles étant située même à l’intérieur de l’hôtel d’un ancien commerçant qui avait fait fortune dans la traite des esclaves.

En France, bien que sa dépouille ait été inhumée au Panthéon, Toussaint Louverture gêne toujours, parce que ses armées après sa mort ont fini par battre celles de Napoléon Bonaparte et de les chasser de Saint Domingue, mettant un terme du même coup au rêve colonial français en Louisiane et en Floride. Il gêne surtout parce que les noirs de Saint Domingue se sont libérés de l’esclavage par leur propre combat, en dépit de la Déclaration des Droits de l’Homme et des Citoyens que l’Assemblée Nationale Française, prétendant se soulever contre la tyrannie, considérait comme ne s’appliquant pas aux esclaves des colonies, mettant à mal la prétention de la révolution française à l’universel et à la liberté.

* Médecin de libre pratique.

‘‘Black Spartacus. The Epic Life of Toussaint Louverture’’, de Sudhir Hazareesingh,  Penguin Press , 464 pages, 5 janvier 2022.

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