Selon une récente enquête réalisée par l’association Lam Echaml, les jeunes qui ont porté au pouvoir Kaïs Saïed sont passés du sentiment d’admiration d’hier à l’attitude de circonspection d’aujourd’hui et se demandent si la révolution tunisienne, leur révolution, n’est qu’un rêve impossible à réaliser.
Par Pr Moncef Ben Slimane *
Suite aux initiatives et mesures prises par le président de la république après le 25 Juillet 2021, l’association Lam Echaml a entrepris une enquête d’opinion auprès d’un échantillon de jeunes activistes dans 21 gouvernorats(1) de la république.
Concernant la consultation électronique et la nouvelle loi électorale, seuls 47% des jeunes interrogés ont participé à la consultation et 68% ont pris connaissance de la loi électorale.
A une question suggérant une comparaison entre la constitution de 2022 et celle de 2014, la majorité des enquêté(e)s (81,25%) n’ont pas d’avis et seuls (18,75%) considèrent la nouvelle constitution meilleure que la précédente.
«Je doute de la représentation mais je participe aux élections»
Dans une approche plus prospective, les jeunes pensent que les futurs députés de la nouvelle assemblée auront une représentativité égale (29%), moindre (29%) et supérieure (18%) que celle des députés de l’ex-ARP(2).
Les raisons principales évoquées par ceux qui mettent en cause la représentativité des nouveaux députés sont : la domination des intérêts individuels par rapport à ceux de la région ou de la nation, l’absence ou le flou des programmes politiques, le risque de l’influence de l’argent et du tribalisme et la non-prise en considération des préoccupations des jeunes et des femmes.
Par contre les jeunes qui formulent une appréciation positive du rôle des nouveaux députés citent les considérations suivantes : le changement du paysage politique, l’émergence de nouvelles figures et personnalités et la rupture avec l’ancien régime basé sur les partis.
Par ailleurs, les activistes interrogé(e)s confirment l’appréciation précédente puisque 59% parmi eux jugent que l’ARP serait plus représentative que celle de l’assemblée à venir de 2022. Seuls 23% des enquêté(e)s ont une opinion contraire.
Cette majorité critique(3) par rapport à la représentativité de l’assemblée à élire en 2022, formule les raisons suivantes : les difficultés d’application de la loi électorale et du système de parrainage, le risque d’un boycott important, l’absence de prérogative et de pouvoir précis.
Par la suite, il a été demandé aux jeunes de noter entre 0 et 20 l’action du président et du gouvernement. Kaïs Saied a obtenu la note de 8/20 et le gouvernement celle de 7,5/20.
A la dernière question : allez-vous participer aux élections législatives de 2022 : 44% ont répondu oui, 38% oui avec des réserves et 18% non.
D’une manière générale, les résultats de cette enquête signalent que les jeunes s’interrogent de plus en plus sur la capacité du régime politique à venir de répondre à leurs attentes et leurs espoirs, régime se présentant pourtant comme alternative à celui de la première décennie
Une étude(4) précédente réalisée en Novembre 2020, avait abouti à la conclusion suivante : de moins en moins de jeunes s’intéressent à la politique et considèrent que le travail et la famille constituent des sujets de préoccupation plus importants.
Juristes de l’establishment et juriste-président
La «politique» est, dans l’esprit des enquêté(e)s, associée à l’image des élites et des partis au pouvoir avant Kaïs Saïed et à leurs pratiques douteuses. Paradoxalement, on relève chez les mêmes jeunes un sentiment de désillusion quant à l’expérience de la transition démocratique et, plus inquiétant la conviction que la démocratie n’est pas nécessaire pour notre pays.
Il semble que les initiatives de Kaïs Saïed, président et juriste à la fois, n’ont pas rompu aux yeux des jeunes interrogés, avec la démarche élitiste et la logique dirigiste des juristes de l’establishment de 2011 dont il n’a cessé de mettre en cause la légitimité.
Les initiatives de Kaïs Saïed participent de l’idée que le droit est la science et la norme capables de concevoir les institutions de la nouvelle Tunisie et de remédier à la crise économique et à la paupérisation de couches sociales de plus en plus larges. Et même si le président y ajoute la référence aux valeurs relatives à l’honneur et à l’honnêteté, cette idée que la moralisation du droit entraînera une moralisation de la politique et de la société, a de moins en moins d’écho auprès des jeunes.
En dernière analyse, le discours de Kaïs Saïed semble plus proche de «la fiction juridique populaire mêlée de donquichottisme», qui fonctionne dans un vase clos. En effet, l’action du président donne l’impression d’être déconnectée des urgences sociales et économiques, des aspirations des laissés pour compte, qu’on dit «min wra el blayek» (« من وراء البلايك »), les victimes de la Hogra nationale.
En définitif, il n’est pas étonnant que cette situation a fait que les jeunes qui ont porté au pouvoir Kaïs Saïed sont passés du sentiment d’admiration d’hier à l’attitude de circonspection d’aujourd’hui et se demandent si la révolution tunisienne, leur révolution, n’est qu’un rêve impossible à réaliser.
* Président de Lam Echaml.
Notes :
1- Les jeunes des gouvernorats de Siliana, Kef et Béja n’ont pas participé à cette enquête.
2- 23 % n’ont pas d’avis
3- Les opinions positives (23%) par rapport à la représentativité de la nouvelle assemblée sont justifiées par la rupture politique avec la dernière décennie, la nouveauté de l’institution et une meilleure représentation du régional et du local.
4- «Enquête sur les déterminants de vote des jeunes tunisiens aux élections de 2019», étude soutenue par l’UE.
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