Le timing n’est pas fortuit, en ce vendredi saint du 23 décembre 2022, et juste avant la fermeture des bureaux du FMI à Washington (pour les vacances de Noël), le président Kaïs Saïed fait promulguer le budget de l’Etat tunisien pour 2023. Incroyable, mais vrai, le président joue au père Noël, avec une augmentation nominale des dépenses de l’Etat de 30%, alors que les caisses sont vides, totalement tributaires de la dette pour éviter la faillite.
Par Moktar Lamari *
Beaucoup comme moi ne croient pas au Président-Père-Noël! Ma lecture économique (et pas comptable) du budget 2023 se résume en 4 mots clefs: le budget de Kaïs Saïed est irréaliste, populiste, inflationniste et dans une large mesure électoraliste.
Électoraliste, et pour cause, le président est sommé, par l’opposition et plusieurs pays occidentaux de déclencher des élections présidentielles anticipées. Sa légitimité est mise à rude épreuve!
Un État-Léviathan!
Dans la mythologie grecque, un Léviathan est un monstre qui écrase tout sur son passage.
Dans ce budget de dernière minute, le président Kaïs Saïed se place aux antipodes de ce que doit être fait pour relancer la croissance, restaurer les fondamentaux économiques et systématiser une bonne gouvernance durable et axée sur les résultats.
Ce budget dépensier est irréaliste, ne change rien et ne fait que consacrer l’économie de rente pour ne pas déranger les lobbyistes, alors que les contribuables, ces payeurs de taxes, sont pris à la gorge, ne pouvant plus joindre les deux bouts. Leur pouvoir d’achat est massacré sous les feux croisés de l’inflation d’un côté, et de la déperdition de la valeur du dinar, d’un autre côté.
Un budget de saupoudrage et qui confirme la fuite en avant d’un État boulimique, pléthorique, bureaucratique et passé maître dans l’improvisation, le gaspillage et l’opacité.
Un budget inflationniste
De facto, le budget de Kaïs Saïed est inflationniste: il augmente les dépenses financées par la dette extérieure, et pas par la richesse créée sur place. Il raisonne par le wishfull thinking.
Il parie sur les donations internationales et l’idée de l’argent facile et peu coûteux. Alors que les taux d’intérêt sont à deux chiffres, sur les marchés mondiaux, et pour les États endettés et peu solvables comme la Tunisie.
Entre le budget encore non bouclé de l’année 2022, et celui annoncé pour 2023, on hausse les dépenses de presque 30%, alors que le taux de croissance économique attendu ne peut excéder les 1,6% en dinar constant. Un taux de croissance économique à peine équivalent au taux de croissance démographique. C’est tout dire sur la place de l’économique dans cet exercice de budgétisation populiste jusqu’à l’os!
Le budget 2023 illustre une contradiction majeure entre d’un côté une politique monétaire restrictive, prônant des taux d’intérêt de plus en plus élevés pour combattre l’inflation et une politique fiscale dépensière, inflationniste et au final politisée. Cette contradiction écrasera davantage l’investissement, le pouvoir d’achat et la valeur du dinar. Et de ce point de vue, l’année 2023, sera pire que ses précédentes.
Au final, le budget 2023 renforce les dépenses financées par une dette toxique et insoutenable. Dit autrement, par les diktats des donateurs.
Presque le tiers des recettes budgétaires sont tributaires de la dette internationale et presque la moitié des recettes fiscales sont absorbées par les salaires et avantages des fonctionnaires d’un Etat-Léviathan, qui règne sur un pays à la fois sur-administré et sous-gouverné.
Un budget pour faire moins avec plus!
Populiste comme jamais, le président Kaïs Saïed décrète unilatéralement un budget factice, qui évite les choix difficiles et qui ne fait que reporter pour plus tard les décisions douloureuses visant à rationaliser l’Etat et optimiser les services publics.
Ce budget est irrecevable pour les citoyens ordinaires. Il l’est moins pour le FMI, puisque non crédible, irréaliste et qui rapproche les échéances d’une dramatique cessation de paiement.
Le budget 2023, Kaïs Saïed gonfle artificiellement les dépenses de l’Etat, au lieu de les rationaliser et au lieu d’optimiser leurs impacts sur l’investissement et sur les moteurs de la relance économique.
Ce budget ne répond à aucun des critères de la bonne gouvernance. Aux antipodes de ce qu’on enseigne à nos étudiants en Amérique du Nord, en économie, en administration, en évaluation des dépenses publiques et en gestion axée sur les résultats (pas sur les objectifs).
En matière de bonnes pratiques et de bonne gouvernance budgétaire, on enseigne à nos étudiants canadiens, le principe de l’incrémentalisme budgétaire. Un sacré principe qui stipule la modulation et la pondération fondée sur les données probantes, sur des choix éclairés par les analyses coûts-bénéfices. Un sou est un sou, et le contribuable doit avoir pour son argent (taxes payées).
Ce principe vise à moduler de façon incrémentielle et marginale les dépenses budgétaires, tenant compte de deux contraintes. L’une portant sur l’équilibre recettes-dépenses, l’autre portant sur la modulation et l’évaluation rationnelle de chacune des dépenses prévues, le tout pour ne pas dilapider les taxes péniblement payées par les contribuables.
Sabrer dans le gras dur de l’Etat!
Sans aucune revue budgétaire préalable, sans aucune évaluation publiée au sujet la performance de l’Etat, sans parlement pour fouiller et vérifier (un tant soit peu), le président impose ex nihilo un budget dysfonctionnel, illégitime et inadmissible en démocratie. C’est un budget unilatéral, autocratique et dictatorial dans une large mesure.
Comme ses prédécesseurs, depuis 2011, Kaïs Saïed ne veut pas toucher au vrai enjeu, celui de sabrer dans le «gras dur» de l’Etat.
Lui et son gouvernement ne veulent pas couper dans le sureffectif des fonctionnaires et épurer l’Etat de son mauvais sang, incarné par des employés fantômes, factices et souvent recrutés sans concours au mérite et avec des diplômes falsifiés.
Le président Kaïs Saïed ne veut pas réduire les effectifs de ces 800 000 fonctionnaires (650 000 au sein de l’Etat central et presque 150 000 dans les sociétés d’Etat et organismes liés).
Le Maroc compte seulement 545 000 fonctionnaires civils, alors que sa population totale est trois fois plus élevée que celle de la Tunisie.
En Tunisie, au moins 200 000 fonctionnaires sont de trop, ils sont payés pour ne rien faire de productif.
Autant d’employés fantômes qui n’ajoutent aucune valeur additionnelle aux services publics, où tout est en délabrement et décomposition avancées.
Le salaire de ces 200 000 fonctionnaires en sureffectif coûte cher aux contribuables: presque 5 milliards de dinars annuellement (frais divers et salaire brut moyen de 25 000 dinars par an, par fonctionnaire). Soit plus de 1,5 milliard de dollars américains, de gaspillés au grand jour!
Créer de l’espace budgétaire!
Le limogeage de ces fonctionnaires fantômes et factices peut s’ajouter à des économies réalisées par des coupures chirurgicales dans les subventions indues dans les produits de base peut procurer au pays un espace budgétaire suffisamment important pour réduire le fardeau de la dette, réduire l’inflation et impulser l’investissement. Un 10 à 12 milliards de dinars d’économie dans les dépenses, c’est faisable…
Mais, Kaïs Saïed ne veut aucunement toucher à cet enjeu pour des raisons électoralistes et populistes. Le président a perdu sa légitimité et ne peut convaincre de ses projets et promesses.
Un licenciement programmé, par mise à la retraite anticipée et incitation aux départs, dégage suffisamment de marge de manœuvre pour augmenter les salaires des autres fonctionnaires, histoire de motiver la productivité et redonner confiance envers l’Etat et ses fonctionnaires. Il peut aussi aider à diminuer la pression fiscale sur les petites et moyennes entreprises.
Le budget 2023 occulte les sociétés d’Etat et fait comme si elles n’existent pas. La restructuration et la modernisation de ces sociétés peut générer à l’Etat un autre 10 milliards de dinars annuellement, sans passer nécessairement par la privatisation, et le bradage de celle-ci comme proposé par le FMI.
Pour finir, je dirai que ce budget a tous les ingrédients d’un pamphlet électoraliste. Le président est sommé par les partis d’opposition et par plusieurs pays occidentaux de déclencher des élections présidentielles anticipées. Probablement quelques mois après l’investiture du nouveau parlement… et durant 2023! Une question de légitimité à restaurer et à rebâtir…
* Economiste universitaire au Canada.
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