Le Nouveau Testament : de la religion d’amour au commerce du salut des âmes

Jésus-Christ était un réformiste qui voulait rompre avec l’ordre ancien, celui dominé par la tradition juive et les prêtres du temple, du moins jusqu’à un certain point, et il n’a pas hésité pour ce faire à donner sa vie.

Par Dr Mounir Hanablia *

L’Ancien Testament conte les aventures des prophètes et de leurs familles depuis la Création du Monde (environ 5700 avant l’ère universelle selon le calendrier hébraïque) jusqu’à Abraham, dont le pacte avec Yahvé constitue le point de départ des pérégrinations des enfants d’Israël jusqu’à la destruction du Temple de Jérusalem, à leur déportation, puis à leur retour et à sa reconstruction.

Le Nouveau Testament relate la vie et la mort du Messie appelé en grec Christ, selon les Évangiles dits synoptiques parce que presque identiques des écrits  transmis à partir des témoignages de deux de ses apôtres, Matthieu, et Jean, et deux leurs disciples, Marc et Luc. Ils comprennent également des écrits de Saül de Tarse, plus connu chez les chrétiens sous le nom de Paul.

Ces témoignages sont sélectifs puisque seuls ceux qui ont été jugés conformes au Saint Esprit, par l’Église Chrétienne, ont été jugés dignes de figurer dans le texte canonique; les autres ont été éliminés.

Le terreau de la foi chrétienne

Le Nouveau Testament constitue le terreau de la foi chrétienne et il demeure nécessaire de comprendre en quoi il diffère de l’Ancien, afin de savoir si le christianisme constitue au moment de son apparition une religion véritablement nouvelle, ou s’il s’agit d’un développement collatéral du judaïsme ainsi que tendent actuellement à le laisser penser nombre de théologiens juifs et chrétiens, pour des raisons essentiellement politiques.

Dès le départ, le changement d’ambiance est radical entre les deux livres. Dieu se met en retrait et c’est désormais le Messie qui agit et qui parle, et en même temps, Satan dont on n’entendait presque jamais parler dans l’Ancien Testament, passe au premier plan, intervenant dans des évènements clés du récit, qui est peuplé de démons qu’il faut exorciser, et les références au jour du jugement sont fréquentes.

Mais le commentaire allégorique du Messie relativement  au non respect du jeûne imposé par la religion de Moïse donne déjà le ton; il y est dit qu’on ne peut pas faire du vin nouveau avec du vieux, et qu’on ne peut pas rapiécer un tissu usé par du neuf. Autrement dit, on ne peut pas apporter un enseignement nouveau en usant de normes anciennes. 

Néanmoins beaucoup de citations issues de l’Ancien Testament, particulièrement le livre du prophète Esaïe, prétendent justifier l’enseignement du Messie. Mais pour être considérés comme identiques, les Évangiles n’en comportent pas moins de sérieuses différences. Ainsi en est-il de la naissance (fantastique) du Messie et de l’hommage des rois mages, de la mission du prophète Jean Le Baptiste, de la foule haineuse selon Marc réclamant la mort qui se dit prête à ce que le sang du Messie rejaillisse sur sa tête et celle de ses enfants, et plus sérieusement de la qualification fondamentale, que seul Mathieu encore rapporte, de Simon en tant que rocher (Pierre) sur laquelle reposera l’Église dont les choix lieront dans cette vie-ci, et dans l’au-delà.

Le Messie face à ses contradicteurs

D’autre part, malgré le caractère spectaculaire des miracles qu’il opère, le Messie se révèle généralement soucieux de faire respecter une certaine discrétion, sans grand succès d’ailleurs, et c’est uniquement dans l’Evangile de Jean que cette préoccupation n’apparaît pas.

Mis à part cela, les faits dont le théâtre se situe généralement en Galilée sont rapportés de façon répétitive : sermons aux foules de plus en plus nombreuses avec usage de paraboles, transfiguration, miracles répétés avec guérisons d’aveugles, de sourds, de lépreux, d’épileptiques, ressuscitation de morts, exorcismes de toutes sortes dont l’un aboutit au saut d’un troupeau de porcs dans un ravin, et qui confirme qu’en Galilée, au moins, tout le monde n’était pas juif.

Les sermons sont émaillés de questions pernicieuses posées par les pharisiens, qui sont des juifs observants, et par les sadducéens, les prêtres du Temple de Jérusalem qui, pas si curieusement que cela, ne croient pas à la résurrection des morts. Leur but est de démontrer que le Messie n’observe pas la Loi de Moïse et menace l’ordre romain. Et dans les deux cas, il est passible de mort. En réalité, les prêtres du Temple craignent une révolte de la population juive contre Rome, conduite par ce personnage sur lequel ils n’ont aucune prise, qui en mettant fin à l’ordre établi, abolirait leurs privilèges.

Mais, c’est le récit de Jean qui se révèle le plus complet relativement à la teneur de la controverse opposant le Messie à ses contradicteurs. Celui-ci prétendant parler en tant que fils de Dieu, relativise l’importance du Shabbat et donc de la l’observance de la Loi juive, et n’hésite pas à traiter avec des personnes jugées impures telles que la prostituée qui le parfume, ou la samaritaine dont il boit l’eau, rompant ainsi un autre interdit. Il sauve une femme adultère qui devait selon la Loi être lapidée, aucun membre de l’assistance ne prétendant ne jamais avoir péché, et lui pardonne. Il résume la loi de Moïse par un verset  du Deutéronome : aime Dieu de toutes tes forces, de tout ton cœur, de toute ton âme, et aime ton prochain comme toi-même. Enfin, et c’est sans doute cela qui pèsera lourd, il affirme que l’alliance avec Dieu est ouverte à tous les humains et n’est plus l’apanage du seul Israël.

«Je suis venu apporter non la paix mais l’épée»

C’est alors que le Messie est arrêté en pleine nuit, loin de la foule de ses partisans, pour être interrogé par le Grand Prêtre qui, face à ses réponses provocatrices relativement à la prétention d’être le roi des juifs, l’inculpe de blasphème, et il est alors agressé, presque lynché, par les serviteurs du Temple.

Puis les récits divergent; Luc prétend qu’il a été adressé au roi Hérode qui par dérision le fait revêtir d’un habit somptueux avant d’être dirigé vers le gouverneur Romain Ponce Pilate avec l’accusation de rébellion contre Rome, celui-ci ayant seul le pouvoir de prononcer la peine de mort par crucifixion. Le gouverneur, après l’avoir interrogé, n’est pas convaincu de sa culpabilité mais il se soumet aux injonctions de la foule travaillée par les agents du Temple réclamant l’exécution.

Finalement, Jésus est crucifié et son corps est enterré dans une grotte par un fidèle qui en a obtenu la restitution par les Romains. Trois jours après, des femmes de son entourage venues se recueillir trouvent la grotte ouverte et une ou deux personnes d’allure étrange, des anges, leur affirment qu’il est vivant. Et le soir, le Messie réapparaît devant ses fidèles réunis, leur parle et même mange avec eux. Il réapparaîtra au moins deux autres fois selon l’Evangile de Jean avant de disparaître.

Tout ceci avait été annoncé aux disciples, l’arrestation, le jugement, la crucifixion, et la résurrection, mais le fait est là, seuls ses disciples ont témoigné de sa résurrection. Et ordre leur a été donné d’en répandre la parole, forts de l’appui du Saint Esprit, mais aussi celui futur du Paraclet dont la venue était annoncée et attendue.

Qui est le Paraclet, le Consolateur ? Celui au travers duquel le verbe de Dieu est prononcé, et qui sans doute réhabilite en la défendant la mémoire du Messie, accusé par les autorités du Temple d’être un fou, un démon, et dont la mère a eu la réputation ternie en tant que Vierge par une campagne de diffamation.

Le prophète Mohamed aura ainsi beau jeu de réciter le Coran, la parole de Dieu, et de prendre la défense du Messie et de la Vierge Marie.

Dans ce drame, les grands absents sont évidemment la majorité des apôtres, ceux qui n’ont pas trahi. Juda l’Iscariote est accusé d’avoir livré son maître au Temple, par cupidité, ou par jalousie, ou sous l’emprise du Diable, et Pierre de le renier trois fois avant que le coq ne chante. Quant aux autres, ils n’ont rien fait pour s’opposer au cours des choses, ne serait-ce que verbalement. Et la foule si nombreuse de leurs partisans n’a pas été rameutée pour libérer leur Maître. Le lendemain, c’en est une autre, criant sa haine et réclamant la mort, qui scellera le destin de l’homme qui se disait fils de Dieu.

Mais prétendre que le Messie fut un pacifiste ne serait pas conforme à la réalité. Ainsi ne dit il pas: «Je suis venu apporter non la paix mais l’épée» ? Ne dit-il pas alors que sa famille vient lui rendre visite : «Je n’ai pas de famille; ma famille, ce sont ceux qui entendent ce que je dis et en prennent acte». Et n’a-t-il pas dit: «Je suis venu mettre la division entre un homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle fille et sa belle mère»?

Il était donc un réformiste qui voulait rompre avec l’ordre ancien, celui dominé par la tradition juive et les prêtres du temple, du moins jusqu’à un certain point, et il n’a pas hésité pour ce faire à donner sa vie.

Fait notable, s’il a condamné le divorce, il n’a jamais dénoncé la polygamie, ni d’ailleurs l’esclavage, et il a même prôné le respect de l’inégalité des salaires.  Mais une fois le Messie disparu, l’opération du Saint Esprit commence. Paul de Tarse, un juif ancien persécuteur des chrétiens et converti à la suite d’une vision, diffuse la parole chez les incirconcis grecs. Lui qui prétend qu’avec le Messie il n’y a plus ni juifs, ni grecs, ni circoncis, ni incirconcis, ni maîtres, ni esclaves, ni hommes, ni femmes, n’hésite pas à reprendre le point de vue de Sarah, la femme d’Abraham, selon lequel Ismaël, le fils de son mari, et son aîné, n’héritait pas parce qu’il était né d’une esclave, Agar.

En reprenant un thème juif qu’il ne reconnaît pas, Paul inspire ainsi la position de rejet radicale des chrétiens vis-à-vis du futur islam (qui persiste à ce jour), au moment même où citant l’exemple de Melchisedek consacrant Abraham, il reconnait  la légitimité de la mission prophétique née en dehors du cadre juif, ce qui en plus de son caractère exalté, lui vaut partout où il va des procès intentés par la communauté juive, et même des tentatives d’assassinat. Pourtant c’est bien l’avènement de la Jérusalem céleste au Jour du Jugement, certes sans le Temple, qu’il prêche.

La Multinationale du Salut

Une autre des curiosités de Paul est la question des interdits alimentaires que la communauté de Jérusalem veut imposer aux païens devenus chrétiens : le sang, les cadavres d’animaux, les animaux sacrifiés sur des autels consacrés à d’autres dieux, et la chasteté.

L’intrus dans les interdits alimentaires, c’est évidemment la chasteté. Quand on constate qu’il s’agit des mêmes interdits, le porc en moins, repris plus tard par l’islam, on peut supposer qu’une main furtive, celle des scribes chrétiens, se soit une nouvelle fois manifestée, pour modifier les Ecritures dans un sens déterminé, et qu’à l’origine, il s’agissait bien d’interdire la consommation de porc chez les nouveaux convertis chrétiens non juifs, conformément à ce qu’enseigne la Loi de Moïse.

Apparemment, qu’on eût dispensé les nouveaux convertis de circoncision n’avait pas été jugé suffisant. Quant à Simon Pierre, le rocher, il meurt à Rome, crucifié la tête en bas.

Après la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains en 70 de l’ère universelle, son fac similé voit le jour, une Multinationale du Salut qui à Rome,  Alexandrie, Antioche, et Carthage, va exercer une emprise sur les esprits en décidant ce qu’il est licite de croire de ce qui ne l’est pas, et dont le pouvoir sera démultiplié lorsque les empereurs romains embrasseront la foi chrétienne. Elle  se nommera Eglise, et ses adversaires la qualifieront parfois de Grande Prostituée.

Ainsi la grande révolte contre le Temple de Jérusalem au nom de la liberté d’interprétation des Ecritures  par l’Homme, menée par le Messie, a-t-elle été conduite vers une voie de garage, en donnant naissance à une structure plus répressive disposant de l’appui et des ressources de l’Empire Romain. Tout était à refaire. L’heure du Paraclet avait sonné.   

* Médecin de pratique libre.

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