Fruit d’un long mélange, les échanges et les emprunts entre les langues produisent des constructions sémantiques parfois déroutantes mais toujours pertinentes et parfois même drôles. Il en est du français et de l’arabe nord-africain.
Par Abdellaziz Guesmi *
Un jour, un élève me dit, à-propos de l’un de ses camarades, «Monsieur, untel est un brèle !». «Ah, une brêle, une mobylette ?». Non, non, «c’est un brèle : il ne comprend pas bien ce que vous dites, c’est un bghel, un mulet, un âne». «Ah, non, un âne, n’est pas un mulet. Il ne faut pas tout mélanger !»
En souvenir de ce garçon, voici un texte de lexicologie historique chevaline… où la langue arabe est la prêteuse.
Etre une brèle c’est être un peu limité, un idiot, une mule quoi. Ce mot est arrivé en France en 1914. En 1940, brèle voulait dire soldat à Grenoble ! Avoir une brêle c’est avoir une mobylette ou une moto. Et «barla» est le féminin de «brèle», mot dérivé de l’arabe du Maghreb «bghel», lui-même dérivé de l’arabe classique «baghl», qui désigne un mulet.
Intégrée dans le vocabulaire des soldats d’Afrique du Nord durant la Première guerre mondiale, la «bête» s’est peu à peu propagée chez les militaires à Grenoble, ville de garnison à l’époque, avant «de prendre souche dans les années 1960».
Mais comme tout humour a un fond de vérité, il est intéressant de questionner l’évolution sémantique du terme arabe «bghal» dans chacune de deux civilisations. Dans l’une il est resté un mulet et dans l’autre il a évolué vers… mobylette : deux moyens de transports, l’un animal, l’autre mécanique. N’est-ce pas là un exemple parmi tant d’autres du découplage industriel et scientifique entre ces deux civilisations à la fois proches et lointaines?
* Proviseur à Grenoble.
Donnez votre avis