Décès de Lotfi Larnaout : le peintre-poète des éternels recommencements  

Peintre, poète et enseignant à l’Ecole des Beaux Arts de Tunis, Lotfi Larnaout est décédé hier, samedi 28 janvier 2023, à l’âge de 77 ans.

Engagé depuis le début des années soixante dans le débat de la peinture en Tunisie, en remettant constamment en question la sienne, comme il se définissait lui-même, ce Tunisois issu d’une famille d’artiste (son frère, feu Mahmoud Larnaout, était banquier et comédien et a participé à l’aventure d’El-Téatro) a laissé une œuvre picturale et poétique frappée du sceau de l’inventivité permanente.

Après des débuts fracassants, à l’âge de 17 ans, au sein du Groupe des Six, aux côtés de Néjib Belkhodja, dont l’aventure s’est terminée en queue de poisson, Lotfi Larnaout a été un infatigable explorateur des formes, jamais satisfait, toujours flamboyant, mettant sans cesse en question sa propre expérience et interrogeant celles de ses collègues dont il n’hésitait pas à faire grincer les dents.

Homme des questionnements, entre matière et esprit, entre biologie et philosophie, entre forme et concept, tour à tour matérialiste et mystique, abstrait et lyrique, cherchant cette impossible harmonie entre  le corps et l’esprit, Lotfi Larnaout a déployé sa créativité à travers deux genres qu’il avait toujours su marier : la peinture et la poésie, les traits, les formes et les couleurs côtoyant, dans son atelier, sur la toile comme sur la page blanche, les mots et les verbes, et leur donnant cette profondeur matérielle qui leur manque.

On a toujours reproché à Lotfi Larnaout ses hésitations, ses bégaiements et son retrait volontaire vis-à-vis de la vie artistique officielle, celle qui vit à travers les galeries, les revues, les médias… Mais s’il a organisé peu d’expositions personnelles, refusant de «s’afficher», se contentant de placer ses œuvres dans les expositions collectives, c’est parce qu’il conçoit l’art comme un ferme engagement dans la vie de la cité, un dialogue incessant avec l’autre, un questionnement permanent de l’altérité, et non simplement comme une quête individuelle de notoriété.

Sa mort offre peut-être l’occasion à ses ami(e)s, dont beaucoup furent aussi ses élèves, de lui rendre un dernier hommage à travers une exposition rétrospective de son œuvre. L’Union des artistes plasticiens tunisiens (UAPT), dont il était l’un des fondateurs, pourrait peut-être y songer, et ce serait le moindre geste de reconnaissance envers l’un de ses membres parmi les plus foisonnants et les plus dérangeants.  

I. B.

Poème de Lotfi Larnaout

Ô mer
Mon île
Ma Terre
En gésine
Éternelle
Genèse
De moi
Je t’ai vue
Arrimée
À la hampe
Rouge
Qui flottes
Au vent
Soudain
Perdant sens
Et
Sans deuil
En berne
Tombes
Je t’ai crue
Nourricière
En secrets
Laits de
Lumières :
Alma mater
À L’ente terne !
Je t’ai bue
Qui
M’emporteras
Adulte
En bière
Avec la peste
Parce que
Je fus caprin
Insecte bleu
Diable hybride
Ibliss en sang
Et le reste…
Ô mer
Tu m’as fait
Ulysse
Mais…
Le sort
Leste

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