Le poème du dimanche : ‘‘Souvenir d’été à Asilah’’ de Moncef Louhaïbi

Moncef Louhaïbi est une voix importante de la poésie tunisienne et arabe. Sa vision, solidement ancrée dans l’héritage culturel arabo-musulman classique, qu’il revisite avec des élans parfois soufis, est installée dans la modernité et l’une des plus ouvertes sur la poésie internationale.

Né en 1949 à Hajeb El Ayoun (Kairouan), il est poète, romancier et professeur de littérature arabe. Il collabore à différents journaux et magazines.
Sa poésie, en prise avec la réalité politique et sociale, n’est pas sans susciter la réprobation des conservateurs.

Quelques titres (en arabe): Manuscrit de Tombouctou, 1998; Métaphysique de la rose de sable, 1999; Exercice du vendredi 14 janvier, 2011; Les filles de l’arc-en-ciel, 2015; Avec l’avant-dernier verre, 2019. (En français) : Que toute chose se taise, Bruno Doucey, 2012.

Tahar Bekri

Tahar Bekri et Moncef Louhaibi.

A T. B.

Debout avec toi au Cap Spartel
Nous fraternisons
comme la Méditerranée et l‘Atlantique.
Je dis :
La terre est une planète aquatique
Le ciel et la terre étaient frère et soeur
Mais où sont partis les Dieux qui ont construit leur trône
dans cet isthme, un certain jour de l’éternité première ?

Par quel nom l’appelons-nous ?
Est-ce Zelis ou Azila ?

Les deux disparurent comme disparaissent des noms et des appellations
nombreuses.
(La langue est un cimetière aussi)
Mais j’écoute les sons de leur cloche
A Asilah ce nom qui reste.
(Les villes changent de nom aussi)

Epèle la qualité lettre par lettre
Cloche par cloche
Dans ce mois clément
Le mois d’août de Zelis !
Et dis :
Dhou al-Rumma* faisait cela aussi
Mais à la campagne du Shâm
Où il avait appris à tracer sur le sable
La tablette qui s’efface.
La tablette qui s’écrit.

Nous descendons lentement
Dans la grotte d’Hercule.
O demeure taillée dans l’eau !
Ce collier de pierre !
Sera-t-elle pour nous une maison sûre
Comme pour les pirates de la mer ?

Epèle la qualité sémantique de la langue
Tu ne te perdras pas entre les virgules d’Azila

ses points et ses signes.
Il faudra Zelis
Même si le voyage est long.

Tu le sais.
Ce que nous écrivons
Ce sont des rêves sonores sans plus.
(L’écriture est le rêve du non voyant aussi.
Voit-il seulement des voix et des sons ?
Jamais il ne verra l’obscurité qui veille dans ses yeux.)

Qu’est-ce qui reste ?
La mémoire de la couleur ou la mémoire de la voix ?
(L’écriture est un cimetière de voix aussi.
La lettre est l’ombre de la voix. L’arc de l’écho.)

Qu’est ce qui reste ?
Jamais le mot « nuit » ne peut suffire
A cette vaste nuit automnale
qui descend dans son ombre !
(L’ombre n’est-elle pas la sœur de la nuit ?)

Un battement d’aile dans la demeure
(Comment l’aile de l’hirondelle
peut-elle descendre du plafond de notre enfance à Tacapes ?)

Battement d’une aile ou…?
Bienvenue oiseau de nuit
Qui traverse ma fenêtre aveugle !

Asilah 1998

Inédit, remerciements à l’auteur.

Traduit de l’arabe par Tahar Bekri

* Poète omeyyade (696-755).

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