Si la république kurde de Mahabad ne fut qu’un pion éphémère dans un jeu géopolitique complexe au Moyen-Orient, il n’en demeure pas moins que les aspirations nationales kurdes ont fini par s’imposer comme une réalité incontournable.
Par Dr Mounir Hanablia *
Parmi les principales conséquences de la guerre du Golfe de 1991 fut la création d’un Kurdistan autonome en Irak. Il serait néanmoins faux de prétendre que ce ne fut là que le fruit d’une conjoncture favorable même si les aspirations nationales des peuples hétérogènes qu’on appelle kurdes peuvent toujours susciter des interrogations légitimes.
La création d’une république libre dans la petite ville de Mahabad iranienne entre 1946 et 1947 englobant la région frontalière avec la Turquie autour du lac d’Oroumieh constitue un précédent important pour les indépendantistes kurdes.
En 1941, deux mois après le début de l’offensive allemande contre l’URSS, les Soviétiques occupaient l’Azerbaïdjan occidental iranien et les Britanniques la région sud du Kurdistan irakien, le but étant d’assurer un approvisionnement logistique à l’armée rouge à partir des ports du golfe Persique afin de stopper le déferlement de la Wehrmacht vers le pétrole du Caucase et du Moyen-Orient.
Entre ces deux zones, la petite région de Mahabad d’où l’armée et la police iraniennes étaient chassées devenait très vite le refuge des irrédentistes kurdes, particulièrement les Barzani en provenance d’Irak.
Naissance de la petite république kurde
Si les Soviétiques transformaient très vite l’Azerbaïdjan occidental en territoire autonome géré les communistes iraniens, en général des Turkmènes, il n’était pas dans leurs intentions de créer une entité politique kurde. Pour eux les territoires à majorité kurde ne constituaient qu’une partie du territoire azerbaïdjanais. Officiellement c’est avec surprise qu’ils apprenaient la naissance de la petite république avec son gouvernement présidé par Qazi Mohamed, son parlement, son armée, sa police et son drapeau. Néanmoins prétendre qu’ils n’eussent pas été au courant serait quelque peu contraire à la réalité.
Le consul soviétique de Rezaieh savait parfaitement ce qu’il en était, et un officier de l’armée rouge, Yefimov, était présent lors de la proclamation de la république. Mais si les Kurdes pensaient bénéficier d’une garantie soviétique, ils allaient déchanter, tout comme les communistes iraniens et les Azéris.
Il s’est avéré que les Soviétiques avaient entrepris des pourparlers avec les autorités iraniennes afin d’obtenir des concessions pétrolières en échange de leur retrait militaire. Et face à l’armée iranienne qui réoccupait les régions occidentales du pays, les Kurdes avaient les moyens militaires et humains de s’opposer victorieusement mais le gouvernement de Qazi Mohamed choisissait la voie de la négociation, et même plusieurs unités kurdes participaient à la reprise de Tabriz et au rétablissement de l’autorité iranienne en Azerbaïdjan occidental.
Aussi c’est sans résistance que l’armée iranienne finissait par réoccuper Mahabad et sa région et mettre fin aux aspirations nationales kurdes. Mais échouant à se faire remettre l’armement de la république, les Iraniens finissaient par faire juger les trois principaux dirigeants kurdes, Qazi Mohamed, Qazi Saifi et Qazi Sadri, finalement condamnés à mort et exécutés début 1947.
Persistance des aspirations nationales kurdes
Plusieurs officiers kurdes irakiens rentrés dans leurs pays étaient arrêtés et exécutés. Mais Mustafa Barzani refusait de se rendre et choisissait finalement d’émigrer des montagnes de Barzane vers l’Arménie soviétique en cheminant sur près de 320 kilomètres le long de la frontière irano-turque au nez et à la barbe de l’armée iranienne qui tentait de lui barrer la route. Deux semaines après il franchissait l’Araxe au sud du mont Ararat. Il demeurerait onze ans en Union soviétique.
Si la république kurde de Mahabad ne fut qu’un pion éphémère dans un jeu soviétique complexe, il n’en demeure pas moins que les aspirations nationales kurdes ont fini par s’imposer comme une réalité incontournable qu’aucune puissance internationale ou régionale ne peut plus ignorer. Il n’est cependant pas encore établi si celles-ci aboutiront ou non à une recomposition géopolitique importante de la région, particulièrement dans le cadre du conflit qui se dessine contre l’Iran, ou des répercussions que celui-ci pourrait avoir sur l’unité de la Turquie.
* Médecin de libre pratique.
‘‘The Kurdish Republic of 1946’’, de William Jr. Eagleton, 1et janvier 1963, éd. Oxford U.P., 142 pages.
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