‘‘La controverse de Sion’’ : la Palestine, le Watergate et la dette; du sionisme au conspirationnisme?

L’auteur de ce livre, taxé d’antisémite aux Etats Unis, annonce, dans les années 50, la troisième guerre mondiale et la destruction talmudique (l’holocauste nucléaire), comme la conséquence de la capitulation des puissances impériales occidentales face au projet sioniste en Palestine et à la révolution bolchévique. Le conspirationnisme n’a pas cessé d’inspirer les thèses les plus invraisemblables…  

Par Dr Mounir Hanablia *

C’était l’époque de ce qu’on avait nommé la chasse aux sorcières. Lors des années 50, Mr Alger Hiss, l’un des proches conseillers du président Franklin Roosevelt, qui avait joué un rôle essentiel à la conférence de Yalta, a été jugé et condamné pour espionnage au bénéfice de l’Union soviétique par la justice américaine.

Un certain membre du Congrès Américain, Richard Nixon, avait paraît-il apporté une contribution importante à cette condamnation, et y avait acquis une grande notoriété, au point de devenir le vice-président des Etats Unis sous Eisenhower, malgré tous les efforts de ses adversaires, en particulier ceux du lobby sioniste, pour l’en empêcher.

Richard Nixon passera à la postérité comme le président qui, en août 1974, aura été destitué après le scandale du Watergate, mais les pages de ce livre, écrit en 1956, scellaient déjà son destin politique, il faut bien en convenir.

Richard Nixon a fait beaucoup moins que Donald Trump, mais contrairement à ce dernier, il a été lâché par les membres de son propre parti politique, et la lecture de ce livre, écrit en pleine guerre froide et questionnant la loyauté des juifs américains vis-à-vis de leur pays, aide à en comprendre les raisons. Beaucoup d’Américains considéraient alors que la menace communiste n’était que le dernier épisode de la tentative des juifs d’annihiler le christianisme, qui avait débuté avec la crucifixion du christ en 34 de l’ère universelle.

Une doctrine raciste

Selon cette théorie, l’Histoire est devenue un champ de bataille idéologique depuis que l’apparition de la bible d’Alexandrie au IIIe siècle avant l’ère universelle (EU) a ouvert aux goyims (les étrangers) la conversion à la doctrine monothéiste. C’était en effet la première fois qu’un peuple élu exposait ses tribulations selon la vision entretenue par sa classe sacerdotale et ses scribes, les lévites, d’un pacte préférentiel avec le dieu unique, dont la création de l’univers n’est que la conséquence.

Eu égard à cela, le pacte aurait ainsi plus d’importance que l’univers, et même constituerait si ce n’est la raison d’être du créateur lui-même, du moins de ses manifestations.

La doctrine exclusive, sinon raciste, qui en a résulté, n’a eu d’autre but en instaurant des règles strictes de séparation mises en application par l’enseignement, que de préserver la personnalité propre de ce peuple en l’empêchant de se fondre parmi les nations. 

Le paradoxe est que ce récit en ait inspiré un autre, prétendant lui être opposé, mais qui continue à faire la part belle aux juifs en leur attribuant un pouvoir de nuisance supérieur dont ils feraient usage pour la domination du monde. Que les rabbins depuis l’académie de Yavné après la destruction du Temple de Jérusalem en 70 de l’EU aient cherché de tout temps à préserver l’identité juive ne souffre aucune discussion. Mais rattacher cela à une volonté constante et irréductible à travers les âges de détruire le christianisme et les nations depuis son apparition semble constituer un avatar de l’histoire sainte, autrement dit une histoire sainte inversée, qui en confirmant l’exceptionnalisme juif à travers ses péchés, légitime l’institution qui prétend le supplanter dans le pacte de Dieu, l’Eglise Chrétienne.

Dans ces conditions, établir un lien entre les lévites de Juda, les scribes de Babylone Esdras et Néhémie, les rabbins Hillel et Shammaï de Yavné, les illuminati de Weishaupt en 1786, la révolution française de 1789, Lord Beaconsfield (Disraeli)  et ses allusions au culte (juif) de Moloch, la révolution  russe de 1917, tout cela au nom d’un complot «talmudique» des khazars juifs de Russie, peut surprendre.

Il est évident que les rabbins ne portent pas les chrétiens (ou les musulmans) dans leurs cœurs et qu’ils entretiennent un récit de la persécution issu en droite ligne de ceux de la bible. Qu’ils aient pu inspirer des mouvements politiques athées, sioniste ou révolutionnaire, qui saperaient leur propre pouvoir sur leur communauté, reste à démontrer.

Sionisme et bolchevisme

Si le parti bolchevik russe a bien compris dans ses instances dirigeantes une majorité de juifs lors de son accession au pouvoir, c’était tout simplement parce que contrairement à ce qu’on a prétendu les Russes n’étaient pas antisémites et que ce parti agissait selon des critères de classe et combattait les divisions issues de la race ou de la nationalité funestes aux juifs.

Dans le même ordre d’idées, prétendre que le but de la première guerre mondiale était l’instauration d’un Etat juif en Russie et d’un autre en Palestine ignore le fait que c’est le gouvernement allemand du Kaiser Guillaume II qui a financé les Bolcheviks et a permis à leurs émigrés de retourner dans leur pays prendre le pouvoir parce qu’ils avaient affirmé leur volonté d’arrêter la guerre, ce qui était dans l’intérêt de l’état-major allemand.

Quant à l’envoi de troupes britanniques en Palestine, dégarnissant le théâtre d’opérations principal pendant l’offensive allemande sur la Somme, et qui s’apparente pour quelques uns à un acte de trahison par des conseillers (Américains) d’un président Wilson réduit à l’état d’homme de paille, tels que House, le rabbin Stephen Wise, ou le juge Brandeis, avec la collaboration du premier ministre britannique LLoyd Georges, le chiffre avancé, celui d’un million de soldats, paraît exagéré dans le contexte du désert, de la faiblesse turque de l’époque, et des troupes arabes du Roi Fayçal du Hijaz dirigées par Lawrence qui ont fait la guerre pour le compte de la perfide Albion.

Dans le cas de l’Angleterre, on s’est cependant mis à parler des «protestants vigoureux», malgré la présence de l’omniprésent Dr Weizmann, le leader sioniste originaire de Russie. Fallait-il pour autant lier le sionisme et le bolchevisme en tant que deux aspects d’un même projet anti chrétien ?

Si les Britanniques ont estimé nécessaire d’instaurer un dominion juif en Palestine, c’était simplement parce qu’avec le canal de Suez situé sur la route de l’Inde, abstraction faite des sympathies témoignées par «les protestants vigoureux» pour les juifs, ils voulaient empêcher la résurgence d’un autre Sultan Muhammad Ali en Egypte.

Les Britanniques n’ont jamais oublié leur roi Richard Coeur de Lion, et quand le général Allenby est entré dans Jérusalem en 1917, il a déclaré : «Aujourd’hui, les Croisades ont pris fin». Les guerres que l’Etat d’Israël a menées plus tard contre l’Egypte ne l’ont que trop bien démontré. Et si nul ne prétend que la Société des Nations (qualifiée de gouvernement mondial) n’ait pas été instaurée dans la perspective de confier le mandat palestinien à l’Angleterre, et de favoriser l’émigration juive nécessaire à la création de l’Etat.

Néanmoins, expliquer la seconde guerre mondiale par cette nécessité d’un foyer national juif n’est pas très convaincant. Pas plus que ne le serait le président américain Roosevelt réduit à l’état d’homme de paille comme l’avait été Wilson par ses conseillers Alger Hiss plus tard jugé pour espionnage et Morgenthau, et qui refait surface, pour livrer la moitié de l’Europe à un Staline qui n’en espérait pas tant, au grand dam de Churchill qui, un moment, semble faire partie du complot, et l’autre, s’y opposer.

De curieuses narrations

Tout cela confère au récit un aspect décousu, celui incroyable d’un projet ayant nécessité deux guerres mondiales, pour instaurer par le bas un pouvoir révolutionnaire chargé de détruire les nations en vertu de l’injonction biblique ou talmudique, et par le haut un Etat juif élitiste dominateur sûr de lui ainsi que l’avait dit le général De Gaulle soutenu par la finance internationale, avec pour couronner l’ensemble un gouvernement mondial qualifié de Nations Unies.

On peut comprendre encore que dans les années 50, en pleine guerre froide, époque de l’apparition de ce livre, de telles thèses anti-communistes curieusement associées à un antisionisme latent qui ne demandait qu’à émerger dans le nationalisme américain eussent parfois pu se manifester durant l’époque du Maccarthysme.

Néanmoins l’évolution ultérieure avec la chute du communisme en Union Soviétique, l’irruption des oligarques russes presque tous juifs sur la scène de l’économie mondiale, et le ralliement de la Chine à l’économie de marché, a prouvé à postériori  que l’Etat révolutionnaire  en tant qu’instrument de destruction des nations et de domination mondiale, n’était qu’un mythe.

En dépit de tout cela il y a dans ce livre des faits troublants, liant les Khazars au communisme et Hitler à la Révolution mondiale, beaucoup de témoignages précis d’officiers de l’armée, de fonctionnaires et de civils américains, d’un général autrichien, de juifs réfugiés en Israël, concernant la latitude à priori invraisemblable qu’ont trouvée les communistes, parfois des Yougoslaves amis de Tito, souvent juifs, pour diriger les camps de concentration sous la férule nazie et y perpétrer des massacres demeurés impunis au nom de la Révolution, y compris contre leurs propres coreligionnaires.

Non moins curieusement  d’autres narrations évoquent la production après la guerre d’équipements produits par des prisonniers non juifs à partir des camps de concentration et destinés au Yishouv en Palestine, ou le prêt bail et le transport du matériel, dont des composantes nécessaires à la fabrication de bombes atomiques à destination de l’Union soviétique à partir de bases dirigées par des… Russes situées sur le territoire américain, ou encore la prise du pouvoir dans les pays d’Europe de l’Est par des gouvernements communistes à majorité juive, s’empressant de liquider les opposants et l’élite, et de détruire les lieux du culte chrétien.

C’est la déconstruction du personnage de Hitler en une entité mystérieuse (juive? bolchevique?) dont on ne sait rien, qui dérange les certitudes les mieux établies en insinuant le doute concernant la véracité des faits, et qui oblige à envisager l’hypothèse d’une Histoire taillée sur mesure pour justifier l’ordre mondial qui prévaut.

Et naturellement l’émergence des lois contre l’antisémitisme dans les démocraties occidentales identiques à celles décrétées par les Bolcheviks immédiatement après leur prise du pouvoir en 1917, interdit tout débat sur l’ampleur de l’aide, humaine, matérielle et militaire reçue par l’Organisation Sioniste, d’Angleterre et des Etats Unis, après la seconde guerre mondiale, ou bien encore sur le glissement de Bernard Baruch, le conseiller juif du président américain Truman, vers les thèses sionistes.

Des personnes aussi importantes que le général Marshall et James Forrestal ont été dénigrées durant des années et obligées de se retirer de la vie publique tout comme le ministre juif antisioniste Bevin, et certains ont été assassinés pour s’opposer au projet sioniste en Palestine, tels le comte Bernadotte à Jérusalem, ou bien Lord Moyne au Caire.

Un complot juif? Nullement. Ceux qui s’étaient opposés avec le plus de vigueur à l’entreprise sioniste originaire de Russie et d’Ukraine furent bien dès le début les communautés juives intégrées des pays occidentaux, mais les échéances électorales sur lesquelles surent jouer les sionistes remarquablement organisés pour en influencer les résultats, se révélèrent être les arguments cruciaux auxquels les politiciens anglo-saxons furent sensibles, des politiciens qui dans des pays au passé colonial comme l’Amérique ou l’Angleterre possèdent de par leur culture protestante une vision biaisée de l’histoire juive.

La théorie du complot

Évidemment dans le même ordre d’idées il se trouvera toujours des thuriféraires de la théorie du complot qui prétendront que l’actuelle guerre russo-ukrainienne voulue par Washington et menée par le juif Zelenski ait pour objectif d’obliger les centaines de milliers de juifs ukrainiens et russes à aller coloniser les territoires palestiniens, et cela n’est pas impossible. Ce ne serait vrai que dans la mesure où la majorité n’irait pas tout simplement s’installer aux Etats-Unis d’Amérique ainsi qu’elle en a pris l’habitude.

Les Etats-Unis, premier Etat juif du monde, il ne serait pas faux de le prétendre; le président Obama avait refusé de liquider les banques et les dirigeants de la finance internationale responsables de la crise des subprimes de 2008, et c’est là-bas qu’opèrent l’une des banques les plus puissantes du monde, Goldman Sachs, une des plus importantes Private Equity Fund, Black Rock, et le Fond monétaire international qui asservit les nations en déconfiture par le biais de la dette et des restrictions de toutes sortes imposées aux populations.

La dette, conséquence d’un ordre international injuste, est évidemment ce nouvel outil de la domination qui, en faisant l’économie de la guerre et en détruisant les pays de la même manière, renvoie la Révolution au rebut. Mais le paradoxe du projet de domination khazar qui après Auschwitz prétend agir pour protéger le peuple juif dans une patrie qui lui soit propre, en en réunissant un si grand nombre sur un territoire si exigu contre les droits de sa propre population arabe, c’est de le rendre particulièrement vulnérable aux armes de destruction massive.

La troisième guerre mondiale et la destruction talmudique (l’holocauste nucléaire), c’est finalement ce que l’auteur, taxé d’antisémite aux Etats Unis, annonce dans les années 50, comme la conséquence de la capitulation des puissances impériales occidentales face au projet sioniste en Palestine et à la révolution bolchevique. 70 ans plus tard, la Révolution Mondiale n’a pas fait long feu, l’Onu n’est toujours qu’un «machin», le Moyen-Orient a été envahi par les armées américaines, et le gouvernement mondial s’exerce à partir des Bourses, par le biais du marché financier dont les Chinois se taillent une part non négligeable qui commande la circulation et la distribution de la richesse, mais aussi par l’Internet, le facebook ainsi que la psychométrie de masse manipulée par des sociétés d’influenceurs telle que Cambridge Analytica.

Mais, et c’est un fait, la capacité d’opposition des juifs antisionistes n’existe plus. Avec l’actuel conflit russo-ukrainien, les tensions liées à la bombe iranienne et à la politique colonialiste toujours menée par l’Etat Juif, et dans le contexte du nouveau désordre international, on ne peut néanmoins pas affirmer que les théories conspirationnistes soient passées de mode.

* Médecin de libre pratique.

‘‘La Controverse de Sion’’, essai de Douglas Reed, éditions Omnia Veritas Ltd,  traduction française publiée le 14 mai 2014, 718 pages.

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