L’alternative à un seul médecin qui ne sait plus où donner de la tête au risque de commettre des fautes professionnelles l’exposant à des procédures judiciaires, n’est-ce pas que ses collègues puissent être disponibles pour prendre en charge les patients avec lui ?
Par Dr Mounir Hanablia *
Dans ce pays, l’organisation (si on peut appeler cela ainsi) du cathétérisme interventionnel fait que chaque établissement possède son champion, son grand personnage emblématique qui monopolise l’activité. Mais durant l’époque héroïque les petits malins, et il y en a eu quelques uns, s’arrangeaient évidemment pour être les grands simultanément de plusieurs établissements.
C’est de bonne guerre: outre l’intérêt financier, il faut en effet empêcher la concurrence d’éclore, et rien ne vaut pour cela de posséder le don d’ubiquité en étant simultanément sur plusieurs endroits, et s’il le faut semer la zizanie, y compris parmi ses propres coéquipiers, quitte pour cela à faire écouter les propos enregistrés des uns aux autres, sans évidemment que les intéressés le sachent. On finit incidemment par l’apprendre un jour ou l’autre.
Les monopoles professionnels
Durant l’affaire des stents, l’un des adeptes de ces pratiques issues des psy op a attiré plus qu’il n’en faut l’attention des autorités et il a malencontreusement disparu un temps qui a dû lui paraître long de la circulation, contraint et forcé, et afin de donner le change ses secrétaires ont expliqué qu’il se faisait traiter à l’étranger, peut être à Miami puisque la rumeur prétend qu’il possède un domicile là-bas.
Depuis, rares sont ceux qui s’assoient à sa table durant les dîners galas dans les congrès. Il est apparemment devenu celui que la profession a jugé utile de charger de ses péchés, et ils sont nombreux.
En parlant de péché, comment ne pas penser à ces collègues qui opéraient dans un établissement alors que des cas urgents des heures durant les attendaient dans d’autres où ils étaient de garde? Et gare à celui qui avait l’outrecuidance d’examiner les urgences en l’absence de ceux à qui ils étaient destinés; il subissait les foudres du Dictateur Médical qui, détenteur d’une interprétation discrétionnaire de la déontologie médicale, n’hésitait pas en règle à l’éliminer, en le priant de ne plus se montrer. C’est aussi comme cela que se sont formés les monopoles professionnels.
Des habitudes étranges
Mais ce furent des temps héroïques. Depuis la profession s’est assagie et les héros se sont quelque peu fatigués. Désormais, à chaque jour suffit sa peine. C’est avoir déjà assez d’activité que de la monopoliser dans un seul établissement, et de surcroît cela donne parfois lieu à l’instauration d’habitudes étranges.
Ainsi dans une unité de cathétérisme un praticien débordé a appris aux infirmiers à piquer l’artère et introduire le désilet, pour gagner du temps. J’ai eu ainsi un jour la surprise de trouver un de mes patients déjà «piqué» et depuis je prends bien soin de préciser avant chaque examen mon opposition à cette pratique.
Néanmoins, la dernière fois, croyant que le message avait été définitivement reçu j’ai omis de répéter mon interdiction, et cela n’a pas raté: le patient a été piqué et le désilet en place; une jeune infirmière n’avait pas été informée que l’opérateur était un «emmerdeur» (l’un de mes illustres collègues bien connu d’Angelina m’avait même traité de dépressif au chômage).
La ponction d’une artère n’est pas un acte anodin, elle peut occasionner de nombreuses complications, en particulier un état de choc ou bien une infection si les règles d’asepsie n’ont pas été rigoureusement respectées, pour ne pas parler des hémorragies et des ischémies. Il m’est même arrivé de voir une patiente décéder préalablement à l’exploration sans même avoir été piquée, sans doute d’émotion.
Il est à se demander comment, dans un milieu où il arrive d’injecter dans le sérum à travers son contenant en plastique ou bien de redonner au patient son masque à oxygène tombé à terre, le praticien puisse jamais être sûr qu’en son absence toutes les précautions eussent été respectées. Et il ne viendrait évidemment à l’esprit de personne d’exiger que l’alternative à un seul médecin qui ne sache plus où donner de la tête au risque de commettre des fautes professionnelles l’exposant à des procédures judiciaires, c’est que ses collègues puissent être disponibles pour prendre en charge les patients avec lui. Mais apparemment d’aucuns estiment préférable la première éventualité à la seconde. Pour eux, mieux vaut encore un bon procès qu’un manque à gagner.
Dans le legs de nos illustres maîtres, la cupidité est ainsi une tare qui se transmet d’une génération à une autre et qui ne contribue pas peu à la mutation professionnelle. Sauf le respect d’Hippocrate !
* Médecin de pratique libre.
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