L’Ethiopie entre islam et christianisme, un château d’eau coupé de la mer

L’Ethiopie est en train de devenir une puissance régionale désormais incontournable, mais la stabilité et la sécurité de l’Etat éthiopien ont toujours dépendu dans une large mesure des relations établies avec ses voisins. Une leçon que ses dirigeants actuels devraient méditer.

Par Dr Mounir Hanablia *

Il y aurait beaucoup à dire sur l’Histoire de l’islam en Ethiopie. Contrairement au Sénégal et au Mali majoritairement musulmans, ce pays à majorité chrétienne riverain de la mer Rouge se situe à une enjambée de l’Arabie et tout comme celle-ci sa population est issue d’un fort métissage afro-sémite. Comment ce pays n’est-il pas devenu musulman malgré ces fortes affinités ethno-culturelles et la proximité géographique de la Mecque?

L’État éthiopien, connu sous le nom d’Aksoum depuis l’antiquité, dominé par les Amharas, s’est individualisé très tôt au IVe siècle de l’ère universelle par la conversion à la foi chrétienne monophysite jacobite dont le patriarcat se situe à Alexandrie.

Sur le plan religieux, ce pays a donc toujours dépendu de l’Egypte et de l’Eglise Copte pour la nomination d’un métropolite à la tête de son Église nationale. Néanmoins, l’islam avait dès son apparition entretenu des relations cordiales avec le négus (roi) réputé juste qui en avait accueilli les premiers réfugiés fuyant la Mecque. Plus tard il s’est répandu par le biais du commerce de la mer Rouge grâce au contrôle de quelques points d’appui : les îles Dahlak en face de Massawa, Zaïla’, Maqdishu.

Le recul de l’Etat amhara vers les hautes terres du plateau abyssin à la suite de guerres avec les peuples de l’intérieur, tels que les Galas païens ou les tribus judaïsées des Falashas, et la perte du port d’Adoulis conquis par l’islam, a ainsi laissé le champ libre à l’installation de quelques sultanats où l’élément arabe a progressivement fait place à des autochtones islamisés essentiellement somalis.

La religion au cœur de la politique   

L’État éthiopien a ainsi perdu l’accès à la mer Rouge et son histoire s’est résumée en une tentative incessante de dominer tous les États essentiellement musulmans lui en barrant le chemin pour en faire ses tributaires.

Malgré ces guerres (émirat de Shoa, émirat de Adal) l’esprit de croisade n’avait pas prévalu et les musulmans pouvaient le plus souvent très bien vivre en Éthiopie sans y être inquiétés. Mais c’est à partir du XIVe siècle avec l’arrivée au pouvoir de Amda Tzion que les choses ont commencé à prendre une tournure différente, et ce sont les relations avec les Mamelouks d’Egypte, autrement dit le sort des chrétiens égyptiens et la liberté du pèlerinage vers Jérusalem, remise en question avec la défaite finale des Croisés, qui ont conditionné ce changement. Mais pas seulement : avec la chute du Royaume nubien de Alwah, les Ethiopiens ont eu l’impression que les Mamelouks les envahiraient un jour en remontant la vallée du Nil et ont commencé à voir dans leurs coreligionnaires musulmans une cinquième colonne, et la chute de l’autre royaume nubien chrétien, le Dongola, deux siècles plus tard, n’a fait que renforcer leurs craintes. Cela les a donc conduits à une politique religieuse intolérante contre les musulmans qui a suscité en retour un fort sentiment d’hostilité.

L’irruption des Portugais en mer Rouge au XVIe siècle et leurs attaques contre les ports musulmans afin de s’assurer le contrôle du commerce avec l’Inde et l’Afrique de l’Est a fait acquérir au conflit une dimension internationale que l’arrivée des Ottomans sur les rives de la mer Rouge n’a pas arrangée.

En fin de compte c’est du Adal, cet émirat centré autour de l’actuelle Djibouti, de Zaila’ et de l’Ogaden, que la réaction musulmane la plus forte viendra avec les guerres de conquête de l’imam Ahmed Ben Ibrahim dit El Gran (le gaucher) dont l’armée composée essentiellement de Somalis faillit rayer de la carte une fois pour toutes l’Etat éthiopien. Après quatorze années de campagne il fut finalement tué en 1543 dans le Tigré par une balle portugaise, preuve s’il en est de l’influence déterminante des armes européennes dans l’issue des batailles, et on peut comparer cela dans une certaine mesure à ce qu’il advint plus tard au Japon avec la victoire finale d’Oda Nobunaga, qui arborait la croix, grâce aux mousquets fournis par les Portugais.

La mort de l’imam entraîna le reflux musulman vers l’Ogaden et la ville de Harare. Seize années plus tard, l’imam Noor Ibn El Moujahed tenta bien une nouvelle guerre de conquête mais il fut finalement repoussé et tué. L’invasion des tribus païennes Gala ainsi que la peste et la famine mirent un terme définitif à toute entreprise militaire de grande ampleur.

Depuis lors, l’islam s’est replié sur lui-même en Ogaden et en Somalie en s’enracinant parmi des peuples qui au départ n’étaient que superficiellement convertis, et une fois encore dans un pays africain, une confrérie, El Qadirya, semble avoir joué un grand rôle dans l’implantation durable de cette religion.

L’entreprise de conquête de l’Ethiopie par l’imam Ahmed Ben Brahim ne fut pas délibérée, elle fut certes un jihad, mais qui répondait à une logique, celle de libérer les musulmans du joug et de l’intolérance des Ethiopiens excités par un esprit de croisade et un fanatisme qu’avant les contacts établis avec le Portugal et l’Eglise catholique on ne leur connaissait pas.

Le cauchemar de l’Egypte

Aujourd’hui l’Ethiopie est toujours coupée de la mer mais le Premier ministre éthiopien, tout comme une grande proportion de sa population, demeure fidèle à l’Islam. Abyi Ahmed, le détenteur du pouvoir, est un musulman, et c’est lui qui conduit les travaux de retenue des eaux du Nil, ce vieux cauchemar de l’Egypte qui devient ainsi réalité, et dans un monde où l’eau devient rare, le contrôle des ressources hydrauliques constitue désormais un enjeu stratégique majeur.

L’entreprise de sécularisation de l’État et de la société ont été ainsi un succès dans ce pays qui est en train de devenir une puissance régionale désormais incontournable. Mais ainsi que le démontre ce livre, l’Histoire enseigne que la stabilité et la sécurité de l’Etat éthiopien ont toujours dépendu dans une large mesure des relations établies avec ses voisins. Une leçon que ses dirigeants actuels devraient méditer.

* Médecin de libre pratique.

‘‘L’Islam en Éthiopie – des origines au XVIe siècle des origines au XVI1 siècle’’, de Joseph Cuoq, Nouvelles éditions latines, 1981, 288 pages.

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