Les potins du cardiologue : une cardiologie plus interventionniste qu’interventionnelle

En médecine, et particulièrement en cardiologie, qui plus est interventionnelle, autant sinon plus que dans les autres sciences, le conformisme peut s’avérer dangereux, d’abord pour les patients qui en subissent les conséquences, mais aussi pour l’ensemble de la profession.

Par Dr Mounir Hanablia *      

Le domaine scientifique est réputé être celui où la vérité soit justement consacrée, du moins jusqu’à la suivante qui la supplante. C’est d’autant plus vrai dans le domaine médical dont il est communément admis que les professionnels soient des altruistes dont la préoccupation principale est toujours de sauver des vies humaines. Et c’est encore plus vrai dans celui de la transmission du savoir soit aux étudiants dans le cadre de leurs formations, soit aux praticiens afin de les tenir informés des progrès enregistrés dans leurs domaines respectifs.

Ainsi en il de la cardiologie, dont la société savante donne aux membres de ses groupes de travail la possibilité de faire état de leurs expériences, mensuellement, par la présentation de cas cliniques généralement peu communs, sur sa page électronique. L’angioplastie coronaire s’avère ainsi fournir des possibilités considérables en la matière, les procédures en étant entièrement filmées.

Néanmoins, tout comme dans les guerres, cet usage de l’image par la technique s’avère porteur de pièges qu’il convient de ne pas sous-estimer. Le dernier cas d’angioplastie coronaire présenté par le Groupe de la Cardiologie Interventionnelle est à cet égard significatif des interprétations différentes qu’on puisse accorder à une même procédure, lorsque l’exposé de l’histoire clinique laisse plusieurs questions en suspens.

Trois surprises en une

La vidéo présentée, une coronarographie (diagnostique) montrait un réseau artériel ayant déjà bénéficié de pontages coronaires, et sur lequel existait à l’origine d’une bonne artère circonflexe, une sténose courte très serrée, très calcifiée, par laquelle le sang ne passait que par un très fin pertuis.

Le texte narrant l’histoire clinique rapportait qu’il s’agissait d’une femme déjà opérée et qui présentait d’intenses douleurs à la poitrine pour les activités quotidiennes, ce qu’on nomme dans le jargon médical un angor invalidant.

Après un quizz relativement au traitement envisagé, le narrateur nous fournissait la solution choisie, l’angioplastie coronaire, mais d’une manière inexplicable, sans en montrer le film. Il fallait donc s’en remettre à sa version de l’histoire qui était à peu près celle ci : une tentative d’angioplastie avait échoué, le guide (fil) non seulement n’ayant pas franchi la sténose, c’était d’ailleurs prévisible, mais étant passé sous la plaque, dans la paroi de l’artère, et on nomme cela une dissection (déchirure interne). Le narrateur a expliqué qu’une tentative d’émerger dans la lumière de l’artère par le guide cheminant dans la dissection avait échoué. Bref il s’agissait d’un échec de procédure aggravé par une dissection iatrogène (provoquée par la procédure). 

Néanmoins la première grande surprise était le «franchissement partiel du capuchon proximal» rapporté; or tout cardiologue sait que sans franchissement de la sténose par le guide, il ne peut y avoir de passage partiel ou total par le ballon.

La seconde grande surprise était la décision de revoir cette patiente six semaines plus tard, autrement dit de la renvoyer chez elle malgré les risques encourus après l’échec de la procédure, en particulier de dissection rétrograde vers l’aorte. 

La troisième grande surprise était le passage sous silence de l’électrocardiogramme, de l’écho Doppler cardiaque, des enzymes myocardiques, avant et après la première angioplastie, avant la sortie de l’hôpital.

La patiente revenait donc à l’hôpital six semaines après avec un «angor amélioré», autrement dit une douleur moindre; une nouvelle coronarographie lui était pratiquée, et là, nouvelle surprise: «le diamètre de l’artère était meilleur» et cela revient à dire que l’artère était mieux perfusée, ce qui en aval d’un bloc calcaire semble difficile à croire.

Une procédure interventionniste 

Après cela le moins que l’on eût pu faire eût été de pratiquer un écho doppler cardiaque pour détecter un saignement dans  le péricarde (l’enveloppe du cœur), ou de documenter l’ischémie (le déficit en oxygène), par une scintigraphie myocardique, un écho de stress, ou une épreuve d’effort, afin d’envisager s’il valait encore la peine de pratiquer une nouvelle angioplastie coronaire.

Tout cela n’a pas été rapporté. Le narrateur a simplement précisé que l’angioplastie coronaire, la deuxième, avait cette fois été réalisée avec succès, avec usage de la fraise rotative (rotablator) pour polir le calcaire, que deux stents avaient été implantés, que les douleurs avaient disparu, et que la patiente était rentrée chez elle et avait repris ses activités. Bref, tout était bien qui finissait bien. 

Évidemment, pour se faire l’avocat du diable, on peut tout aussi bien affirmer que la patiente a tout simplement fait un infarctus du myocarde dans le territoire de la sténose après la dissection induite par l’échec de la première angioplastie, que cet infarctus ne s’est heureusement pas compliqué, et cela explique la disparition finale de la douleur; la deuxième angioplastie, celle qui a «réussi», ne s’imposait donc absolument pas.

On peut ainsi qualifier ce choix de pratiquer une procédure inutile, d’interventionniste. Et l’interventionnisme est le péché de l’interventionnel; il suffit de voir une sténose pour vouloir la franchir, et plus elle semble difficile, plus la tentation de le faire, en général proportionnelle à l’égo, est grande.

La version du narrateur, en l’absence il ne faut pas l’oublier des vidéos des procédures, contient suffisamment d’invraisemblances pour ne pas la mettre en doute, et la présomption de la seule bonne foi ne suffit certes pas à la confirmer.

Le gouffre du conformisme

En conclusion, ce cas démontre l’existence d’un problème dans le rapport entretenu avec la vérité, scientifique il ne faut pas l’oublier. Si dans un groupe œuvrant au sein d’une société savante, l’information scientifique n’obéit pas à la rigueur requise, et que les mécanismes chargés de la contrôler et de la corriger ne jouent pas leur rôle, c’est tout simplement que malgré tous ses efforts, ledit groupe ne remplit pas au mieux sa mission.

Certes, il arrive que des présentations de cas cliniques suscitent des désaccords, elles n’en sont alors que plus enrichissantes. Dans le cas présent, les demandes de précision adressées aux quatre cardiologues interventionnels membres du bureau directeur de la société savante, y compris son président, n’ont, plusieurs jours après, pas eu de réponses. Est-ce à dire qu’on y considère toute tentative de discussion des cas cliniques présentés ou des articles publiés comme malvenus? Et les sujets abordés obéissent-ils à l’intérêt scientifique ou bien reflètent-ils certaines ententes académiques sur les candidats aux concours? Que les étudiants en cardiologie subissent ainsi les effets d’une mauvaise émulation tendant à considérer que la vérité se confonde avec celui qui l’énonce et les nécessités auxquelles elle obéisse, que la bibliométrie importe plus que la teneur des publications et que les aberrations techniquement réussies fondent les réputations les mieux établies, ne servira ni la cardiologie, ni l’honnêteté intellectuelle; encore moins le sens critique dans un cercle dont l’honneur et la raison d’être seraient pourtant de l’enseigner, l’entretenir, le développer, et on a déjà vu vers quel gouffre le conformisme intellectuel avait plongé il n’y a pas si longtemps l’ensemble de la profession.

* Médecin de libre pratique.

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