Face à certains cas présentant des complications particulières, ce n’est pas au médecin, réputation professionnelle en granite ou pas, de jouer les démiurges. Il suffit parfois qu’il ne soit pas nocif.
Par Dr Mounir Hanablia *
Une dame de 71 ans diabétique consulte pour des douleurs thoraciques assez atypiques. Une coronarographie révèle des lésions coronaires tritronculaires sévères avec une bonne contractilité du myocarde (55%), justiciables de pontages multiples (chirurgie).
La patiente rentre chez elle pour préparer sa prise en charge d’assurance maladie et le lendemain elle retourne à la clinique avec un infarctus étendu. Elle bénéficie d’une angioplastie coronaire (d’une difficulté épouvantable) en urgence avec mise en place de deux stents et usage d’une profusion de matériel (six ballons, un prolongateur dont nul n’a jamais entendu parler d’une valeur de 2500 dinars) tout à fait inhabituelle.
Un dommage évitable
Deux jours plus tard, la dame est mise sortante de la clinique sans échographie d’évaluation avec une note de frais de 8000 dinars et une indication d’implantation ultérieure de quatre stents supplémentaires sur les deux autres artères coronaires. Entre-temps elle développe de l’insuffisance cardiaque.
L’écho-doppler cardiaque de contrôle qu’on est bien obligé de faire à la dame montre bien évidemment une altération importante de la force contractile du cœur avec une fraction d’éjection à environ 20% (normale à 70%).
En principe, il faut effectivement dilater et stenter les artères restantes, à la notable exception près qu’avec un cœur aussi abîmé rien ne garantisse qu’au moment du déploiement du ballon ou du stent, il ne parte pas en fibrillation ventriculaire irréversible, autrement dit qu’il s’arrête de battre. Mais évidemment tout médecin qui se respecte dénué du fameux permis de tuer (un crédit professionnel en granite) devrait préférer un patient en état précaire mais vivant à un autre décédé durant une intervention.
Ce cas est démonstratif de la succession de causalités conduisant en médecine à un dommage évitable. Il aurait fallu d’emblée hospitaliser la patiente jusqu’à l’intervention chirurgicale, autrement dit jusqu’à ce que sa prise en charge par les caisses d’assurance-maladie soit acquise.
Il est vrai que les patients capables de supporter les frais de clinique en attendant l’acte salvateur ne sont pas légion. L’angioplastie coronaire réalisée en urgence n’avait par ailleurs pas eu les résultats escomptés. Ceci prouve qu’une procédure peut être techniquement réussie mais sans bénéfices, particulièrement lorsqu’elle est réalisée tardivement.
La prise de risque inconsidérée
Enfin, les spécialistes en angioplastie coronaire s’avèrent être souvent de simples poseurs de stents qui ne mesurent pas les conséquences de leurs actes. La preuve, c’est que la patiente a quitté la clinique sans écho cardiaque d’évaluation.
Il est vrai que l’opérateur n’avait aucun intérêt à laisser savoir que son acte techniquement réussi n’avait en réalité servi à rien. Cela ne l’a pas empêché de s’envoler pour la Côte d’Ivoire le lendemain et de confier la patiente à un collègue.
Ce dernier, toujours dans le même ordre d’idées, a rédigé une demande de prise en charge pour une nouvelle angioplastie coronaire (quatre stents), sans prendre la peine de vérifier l’état myocardique (par l’échographie), autrement dit d’évaluer les chances de se sortir vivante de la procédure.
Or l’Euroscore chez cette patiente avoisine les 47% ce qui témoigne d’un risque opératoire prohibitif. Que faut-il alors faire? Temporiser, et réévaluer le cœur dans quelques semaines; si toutefois la famille le permet. Or celle ci, c’est bien connu, n’est souvent pas raisonnable, et pousse parfois vers la prise de risque inconsidérée, quitte à s’entendre dire en cas d’issue fatale (par les prophètes de la profession, ceux disposant de la crédibilité en granite): «ce sont des choses qui arrivent !» Réaliser la procédure sous assistance circulatoire? Non puisque la tension artérielle n’est pas effondrée. Est-ce que la patiente demeurera jusque-là vivante? Nul ne le sait, mais ce n’est pas au médecin, réputation professionnelle en granite ou pas, de jouer les démiurges. Il suffit parfois qu’il ne soit pas nocif.
* Médecin de libre pratique.
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