Rendre la Tunisie moins inhospitalière envers ses enfants

L’absence de perspectives et l’angoisse généralisée au sujet de l’avenir individuel et collectif que ressent l’écrasante majorité des Tunisiens font du pays un immense vivier de candidats à l’exil. Et il suffit d’écouter nos expatriés pour découvrir le vaste fossé entre le discours officiel et la réalité d’une Tunisie inhospitalière envers ses enfants.

Par Elyes Kasri *

La proximité de l’été annonce le sempiternel rituel de l’accueil des Tunisiens résidents à l’étranger (TRE) et de leur apport potentiel à l’économie de leur pays d’origine comme si c’était une dette à acquitter qu’ils rechignent à honorer.

La vérité est que, pour l’écrasante majorité des expatriés dont le nombre total dépasserait 1.700.000 Tunisiens, c’est le manque ou, pour beaucoup, carrément l’inexistence de perspectives qui les a poussés à l’exil, en en faisant une proie facile pour les pays développés qui, grâce à un processus officiel ou tacite d’immigration sélective, en retiennent les meilleurs et marginalisent les autres, quitte à les refouler comme une marchandise défectueuse retournée à son fabricant.

L’épreuve des tracasseries bureaucratiques

Au-delà des slogans creux et des institutions et mécanismes obsolètes et rongés par les nombreux maux des deux dernières décennies, ces expatriés sont soumis à des tracasseries bureaucratiques dues à l’obsolescence de certaines pratiques administratives consulaires et à un personnel à recrutement local qui nivelle le traitement accordé aux expatriés tunisiens par le bas.

S’ils franchissent la barrière des procédures consulaires notamment un passeport d’une validité de cinq ans qui met jusqu’à 80 jours et parfois plus pour être renouvelé, privant ainsi un cadre de toute mobilité en dehors du pays de résidence, les expatriés tunisiens sont soumis à l’épreuve du passage des douanes et de la police des frontières, pour atterrir ensuite dans les dédales de la bureaucratie tunisienne. Si par malheur, ils ont la témérité de vouloir acquérir un bien immobilier ou de lancer un projet économique, alors ils font face à une Tunisie qui s’inspire considérablement de sa proximité géographique avec la Sicile.

Les déceptions amères et les histoires d’horreur sont nombreuses. Il suffit de faire preuve d’écoute et de mettre en place une institution de compilation et d’écoute des expatriés pour découvrir le vaste fossé entre le discours officiel et la réalité d’une Tunisie inhospitalière envers ses enfants expatriés.

Un immense vivier de candidats à l’exil

Il faut dire que l’absence de perspectives et l’angoisse généralisée au sujet de l’avenir individuel et collectif que ressent l’écrasante majorité du peuple tunisien font de la Tunisie un immense vivier de candidats à l’exil.

L’absence d’une politique conséquente de maintien des liens avec la mère patrie ne peut être occultée par le rituel folklorique estival auquel plus personne ne croit, à part quelques bureaucrates et politiciens dépassés par les événements.

Face à la croissance fulgurante de l’émigration et au processus d’appauvrissement en compétences, la Tunisie est confrontée à quatre défis:

– le premier consiste à créer des conditions de formation académique et professionnelle facilitant l’insertion et l’épanouissement professionnels en Tunisie avec une réforme en profondeur du modèle socio-économique qui a atteint un stade avancé d’obsolescence;

– le deuxième défi consiste à moderniser le travail consulaire en adoptant les nouvelles technologies d’information et de communication et en faisant preuve d’une meilleure appréciation du temps et du respect requis par nos compétences expatriées dont nous avons besoin de préserver l’attachement sentimental à la mère patrie;

– le troisième défi consiste, outre les facilités de transfert bancaire et de conseil et d’encadrement des projets, à créer une cellule à la présidence du gouvernement pour servir d’écoute et de conseil aux expatriés tunisiens et de recours contre les abus et manœuvres des siciliens de Tunisie qui sont plus nombreux qu’on ne le pense et à des postes de responsabilité insoupçonnés;

– le quatrième défi, après avoir subi le brain drain ou la fuite des cerveaux, la Tunisie gagnerait à s’inspirer de la politique indienne et chinoise de «brain gain» ou de récupération et d’attraction des compétences expatriées. Compte tenu de l’exiguïté du marché de l’emploi et du système de mandarinat et des cartels prédominants en Tunisie, de nouvelles zones franches gérées par des entreprises internationales pourraient attirer ces compétences expatriées et en faire un facteur de libération d’un potentiel considérable dans les domaines de l’enseignement, de la médecine, de la pharmacie, de l’électronique, des services par internet et une multitude d’autres activités industrielles et de services.

Un changement devenu inévitable et salutaire

La Tunisie n’a pas tant besoin de s’endetter auprès du FMI et d’autres pourvoyeurs de fonds que de se débarrasser de pratiques, institutions et cartels obsolètes, en concevant un modèle socio-économique qui libère les énergies et les capacités d’innovation de l’emprise suffocante d’une coalition de bureaucrates et de cartels qui s’opposent farouchement au changement devenu pourtant inévitable et salutaire.

La Tunisie a les moyens de la relance et de l’excellence. Toujours faut-il qu’elle en ait la vision, la volonté et l’audace.

* Ancien ambassadeur.

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