Le ton revêche des propos de Kaïs Saïed appelant au respect de la souveraineté tunisienne, son rejet constant de ce qu’il appelle «les diktats étrangers» et ses appels récents aux Tunisiens pour compter sur eux-mêmes traduisent, chez le président de la république, un mélange de désaffection, de déception et de colère envers des pays Occidentaux, et notamment de la France. Décryptage…
Par Imed Bahri
Lors de sa rencontre, hier, vendredi 2 juin 2023, au Palais de Carthage, avec le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens de l’étranger, Nabil Ammar, le président de la république a réitéré l’attachement de la Tunisie à sa souveraineté et aux constantes de sa politique étrangère, dont la plus importante est son refus de l’ingérence dans ses affaires intérieures.
Selon un communiqué de la présidence, Saïed a déclaré que la Tunisie, «qui refuse de s’ingérer dans les affaires des autres pays, refuse en retour que quiconque s’immisce dans ses affaires intérieures qui découlent de la volonté de son peuple», ajoutant que la Tunisie a une histoire beaucoup plus riche en droits et libertés que de nombreux autres pays.
Le président Saïed a aussi souligné que le peuple tunisien, qui s’est soulevé et révolté pour la liberté et la dignité nationale, n’acceptera jamais de revenir en arrière, sans préciser ce qu’il entend par «arrière», mais on comprend aisément qu’il s’agit pour lui du 25 juillet 2021, date à laquelle il avait dissous les anciens gouvernement et parlement et proclamé l’état d’exception, avant de faire promulguer une nouvelle constitution renforçant les pouvoirs du président de la république et réduisant ceux du gouvernement et du parlement. «La Tunisie est capable de donner plutôt que de recevoir des leçons de quelque partie que ce soit», a encore souligné Saïed.
Mini-couac diplomatique
Quand on sait que cet entretien a eu lieu après la visite effectuée par le ministre des Affaires étrangères Nabil Ammar en France, les 30 et 31 mai, à l’invitation de son homologue Catherine Colonna, et qu’à l’issue de cette rencontre, le Quai d’Orsay a publié, le 30 mai, un communiqué rendant compte de l’entrevue et affirmant qu’elle «a été l’occasion de rappeler l’attachement de la France aux droits et libertés publiques partout dans le monde», on peut en déduire que les propos du président s’adressent particulièrement à la France.
En réaction à ce communiqué, le ministère tunisien des Affaires étrangères a d’ailleurs cru devoir assurer, dans un communiqué, que la question des «droits et libertés» n’avait pas été abordée, précisant que lors de la rencontre, Nabil Ammar avait souligné que «le principal défi de la Tunisie reste celui de la relance économique, et que tout message sceptique ou attitude négative ne ferait que compliquer davantage l’amélioration des conditions socio-économiques dans le pays».
Par ailleurs, et après son entretien avec le sénateur LR (Les Républicains) Christian Chambon, qui préside la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au Sénat, Nabil Ammar a dit avoir «souligné que la Tunisie, qui ne donne de leçons à personne, n’en accepte aucune de quiconque».
Rejet réitéré des «diktats de l’étranger»
Rappelons aussi que lors du dernier sommet des pays du G7 le 20 mai à Hiroshima, au Japon, la France s’est rangée sur la position intransigeante des autres membres du groupe, notamment les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Canada, à propos de la situation actuelle en Tunisie, en appelant «le gouvernement tunisien à répondre aux aspirations démocratiques de sa population, à améliorer la situation économique du pays et à parvenir à un accord avec le FMI».
Cet accord, faut-il le préciser, reste encore en plan, sachant que les pays du G7 sont parmi les plus influents au sein du conseil d’administration de l’institution financière internationale. Ceci explique-t-il cela ?
On peut le penser, d’autant que le ton revêche des propos de Kaïs Saïed appelant au respect de la souveraineté tunisienne, son rejet constant de ce qu’il appelle «les diktats étrangers» et ses appels récents aux Tunisiens pour compter sur eux-mêmes, traduisent, chez lui, un mélange de désaffection, de déception et de colère envers des Occidentaux, partenaires historiques de la Tunisie, et qui semblent se démarquer de plus en plus clairement du processus politique qu’il a initié avec la proclamation de l’état d’exception le 25 juillet 2021.
La question qui se pose à ce propos est de savoir jusqu’où la Tunisie, qui traverse la plus grave crise financière de son histoire contemporaine, pourra-t-elle assumer les conséquences de ce qui apparaît aujourd’hui comme un isolement diplomatique et jusqu’où ses partenaires historiques occidentaux pourront-ils aller dans leurs pressions pour l’amener à rétablir le processus démocratique aujourd’hui en panne.
Pour ne rien arranger, dans ce rapport de force ô combien inégal, il n’est pas certain que la partie la plus faible finira par jeter l’éponge. On peut même prédire que la fuite en avant du président Saïed ne fait que commencer… Et malin celui qui pourra en prédire l’issue.
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