»De Rome à la Mecque’’: le dialogue islamo-chrétien; un coup d’épée dans l’au-delà

Pour autant que les musulmans ne disposent plus depuis l’abolition du califat d’un représentant légitime et reconnu, les contacts établis par le monde islamique avec le Vatican, au-delà des préjugés religieux et des calculs politiques des uns et des autres, ne seraient finalement que des coups d’épée dans l’eau.

Par Dr Mounir Hanablia *

Ce livre écrit par un journaliste allemand attaché au Vatican est complexe, parfois fastidieux. Il traite des échanges d’idées engagés par les plus hautes autorités de l’église catholique avec des représentants de l’islam avant 2010. Ce faisant, le point de vue exprimé reflète généralement beaucoup plus celui du Vatican que de ses interlocuteurs, exception faite lors des polémiques déclenchées par le pape Bénédict XII, dont le caractère prémédité n’est pas douteux, et des réactions suscitées par ses propos dans le monde musulman.

Evidemment, on ne peut perdre de vue le fait que cette polémique là se soit déroulée au plus fort de la guerre mondiale contre le terrorisme. Que l’assassinat d’une  religieuse chrétienne de 70 ans connue pour son dévouement dans un hôpital en Somalie en eût été la conséquence directe ne doit pas occulter le massacre des chrétiens d’Irak et de Syrie par les milices de l’Etat Islamique armées et soutenues par la Turquie, un pays membre de l’Otan, ni la responsabilité américaine en tant que puissance occupante de l’Irak dans l’émergence du terrorisme dans ce pays, ainsi que les affrontements sectaires qui s’y sont déroulés.

Cela, l’auteur évite de le dire, sans doute du fait du souci du pape d’établir des relations cordiales entre le Saint-Siège et la Turquie, concrétisées par son séjour officiel dans ce pays, ainsi que sa visite à Sainte-Sophie et à la mosquée bleue d’Istanbul.

D’autre part, le Saint Siège a posé d’emblée comme préalable ne souffrant aucune remise en question son absence d’implication dans les politiques des pays occidentaux, en particulier au Moyen-Orient.

Modus vivendi entre deux grandes religions rivales

Il est donc légitime de penser que dans la recherche d’un modus vivendi entre deux grandes religions historiquement rivales, si tant est que cela constitue bien l’objectif des discussions, l’une des parties pose comme préalable implicite son caractère pacifique dans son appropriation du texte des Evangiles et oriente la discussion vers la condamnation de la violence et de la contrainte religieuse, autrement dit, en en accusant l’autre partie.

Cela est apparu patent dans la conversion donquichottesque et médiatisée d’un musulman au christianisme, ou le discours de Regensburg reprenant les propos du Basileus Manuel Comnène lorsque le prophète Mohamed a été accusé d’opportunisme relativement au verset sur l’absence de contrainte et de plagiat en religion sans rien apporter de nouveau, et l’islam d’user de l’épée pour imposer ses préceptes en violation de la liberté accordée par Dieu.

La légitimité du prophète Mohamed n’étant susceptible d’aucune remise en question par les musulmans, tout autant que celle éventuelle de la trinité par les chrétiens (encore des préalables !), cela a entraîné une réponse argumentée et pertinente, mais le ton était ainsi donné sur le sens des échanges entre une partie accusatrice, et une autre sur la défensive, contrainte de réfuter.

Absence d’implication politique ou pas, le pape Benedicte XII ne s’est nullement placé en porte-à-faux relativement aux préoccupations qui prévalaient à cette époque, quand la crainte des attentats terroristes était omniprésente et que l’opinion publique  occidentale exigeait d’être rassurée.

La garantie de la liberté du culte en terre d’islam

Depuis le concile Vatican II des années 60 qui avait engagé les chrétiens catholiques à rechercher et respecter la part de Dieu dans tout être humain et dans toute religion, l’heure n’était plus à la communion avec les musulmans. La construction d’une mosquée à Rome largement financée par l’Arabie Saoudite était désormais avancée comme étant la preuve que les catholiques avaient rempli leur part de contrat et qu’ils attendaient une contrepartie des pays musulmans. Laquelle? La liberté de croyance, de conscience, de blasphème même, le droit pour les chrétiens de construire des églises et d’enseigner leur foi en terre d’islam, la protection des minorités chrétiennes et l’égalité politique avec la majorité.

En fait, la demande de l’église catholique se rapportait désormais à l’instauration d’Etats séculiers agnostiques garantissant une liberté du culte équivalente à celle dont jouissent les musulmans en Occident.

Ainsi, au nom de la conformité entre la foi et l’esprit, l’avènement d’une société laïque et pluraliste en terre d’islam était devenu la raison d’être des échanges interreligieux pour l’église catholique. Plusieurs remarques restent à faire sur cette évolution vers la sortie du religieux et l’instauration d’une religion civile.

Pour le pape, une démocratie libérale agnostique constitue la quintessence du christianisme, puisqu’elle assure la liberté et la dignité de l’être humain. En fait, on a même prétendu que c’est là que le Christ avait rencontré Spinoza. Mais est-il raisonnable pour autant de la demander en tant que contrepartie de droits concédés aux musulmans en Occident?

L’extension au plan religieux de la mondialisation

En France, par exemple, la mosquée de Paris n’a pas été une concession mais la reconnaissance du rôle déterminant joué par les combattants coloniaux du Maghreb dans les batailles de la Somme et du Chemin des Dames. Et à Londres ou à Moscou c’est l’empire qui a rendu l’édification de mosquées inévitables, et en Allemagne, ce furent les travailleurs turcs dont avait besoin l’industrie. Le cas romain n’est donc qu’une exception. Néanmoins, l’argument pour autant qu’il soit faible ne vaut que par sa volonté de contrainte, tout autant d’ailleurs que la confusion paradoxale entre politique et religieux, du moins dans le cas français. Or l’instauration de la démocratie libérale dans le monde musulman, c’est aussi le programme que s’étaient fixé les promoteurs de la guerre antiterroriste américaine, inspirés par les néoconservateurs, ainsi que… le dissident soviétique Nathan Chtcharansky. La pax islamochristiana n’en serait que la poursuite, par d’autres moyens, ainsi que l’extension au plan religieux de la mondialisation, où la sphère religieuse deviendrait une question absolument personnelle dans un monde technocratique régi par des algorithmes et des lois.

Il est patent que les normes imposées par l’Organisation internationale du commerce, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, les agences de notation internationales, ou naturellement les guerres, ont bien plus d’impact sur la sécularisation des musulmans; tout autant qu’en avait eu en son temps la colonisation. Mais le fait est là: cette organisation issue d’un autre âge que constitue le Vatican, la plus ancienne multinationale du monde, sous l’égide d’un pape allemand, n’est plus ni apôtre, ni témoin de la parole de l’Evangile qu’’elle prétend promouvoir, même si on  peut la créditer de son refus de la guerre pour convaincre de la nécessité de réformes radicales chez ses ex-adversaires dont elle veut faire des partenaires.

On peut supputer sur les raisons qui poussent ces derniers à poursuivre ces contacts. Un partenariat islamo-chrétien serait un argument de bien plus de poids pour prévenir la judaïsation débridée de la ville de Jérusalem. Évidemment, la volonté égoïste des régimes politiques arabes de se débarrasser de cette image de barbares qu’ils véhiculent parfois à juste titre dans la presse occidentale n’y est pas non plus étrangère. Des relations établies avec le Vatican sont en ce sens précieuses, mais l’achat de clubs de football prestigieux tels que Manchester City ou le PSG par les magnats du Golfe ou l’organisation du Mondial de football au Qatar sont bien plus spectaculaires. On ne peut qu’interpréter en ce sens la visite qu’en son temps avait accomplie le Roi Abdallah d’Arabie Saoudite au Saint-Siège.

Quant à la Turquie, il fut un temps où elle considérait ces relations comme le cheval de Troie de l’accès à l’Europe. En réalité, les Etats musulmans, y compris la Turquie, ne veulent pas séculariser leurs sociétés, non pas parce que cela s’oppose aux préceptes de l’islam, mais parce qu’ils veulent maintenir un statuquo qui est favorable aux factions économiquement et politiquement les plus avantagées par l’ordre établi.

Il y avait eu en son temps un pape polonais qui avait prié dans un stade marocain et visité l’université de la mosquée Al-Azhar au Caire, pour communier avec l’islam. Il y a eu un pape allemand qui sous prétexte de s’opposer au terrorisme voulait instaurer une norme de conduite aux musulmans respectant les spécificités culturelles de l’Europe, autrement dit prévenant les conversions massives des populations européennes à l’islam. Le pape argentin actuel semble vouloir plus agir dans les coulisses, ou bien n’a plus comme principale priorité les relations avec l’islam. Il faut dire que le contexte ne s’y prête pas réellement. Il n’en demeure pas moins que, Spinoza ou pas, seule une sécularisation véritable assurera la prospérité et la dignité des populations à même d’empêcher la migration massive des jeunes et des élites des pays musulmans vers les Etats de droit des pays occidentaux, ainsi que le massacre de la traversée de la Méditerranée sur des embarcations précaires.

Tout compte fait, pour autant que les musulmans ne disposent plus depuis l’abolition du califat d’un représentant légitime et reconnu, ces contacts établis avec le Vatican ne s’apparentent finalement qu’à des coups d’épée dans l’eau.

* Médecin de libre pratique.

‘‘Zwischen Rom und Mekka’’, de  Heinz-Joachim Fischer, éd. Bertelsmann, C., München, 2009.

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