Tunisie : Kaïs Saïed et les limites du discours souverainiste

Le président Kaïs Saïed espère-t-il vraiment tirer du processus de conciliation pénale des montants susceptibles d’épargner à son gouvernement des engagements internationaux qu’il n’est pas en mesure d’honorer sans perdre la face au regard des Tunisiens ?

Par Imed Bahri

En se rendant mardi 20 juin 2023 au siège de la Commission nationale de la conciliation pénale (CNCP) à Tunis, le président de la république Kaïs Saïed a exhorté les membres de cette commission à davantage d’effort pour récupérer les avoirs spoliés au peuple, ajoutant que «les sommes récupérées permettraient au pays de se passer des parties étrangères».

«En cette phase historique cruciale, il s’agit d’un combat de libération nationale», a déclaré le chef de l’Etat, selon la vidéo de la rencontre diffusée par la présidence de la république, ajoutant qu’il est hors de question de céder le moindre sou de ces sommes estimées à des millions de dinars, en avertissant contre toute tentative de manipulation concernant les dossiers de conciliation pénale.

Qui fait obstacle à la conciliation pénale ?

Selon les membres de la CNCP, il y aurait 130 dossiers traités ou en cours de traitement. Certains ont été bouclés et ont permis aux caisses de l’Etat de récupérer 5 millions de dinars, un maigre montant en comparaison avec les attentes du président de la république et les besoins de financement du budget de l’Etat.

Le chef de l’Etat a insisté sur la nécessité de coordonner entre toutes parties intervenantes pour réduire les délais, dépasser certains obstacles posés par le texte de loi organisant l’opération, à savoir le décret-loi n°2022-13 du 20 mars 2022, relatif aux procédures de conciliation avec l’Etat aux termes des crimes économiques et financiers ayant généré des profits illicites et causé des pertes pour l’Etat.

«Il faut cesser de se cacher derrière les textes de loi pour faire obstacle à l’opération de conciliation pénale», a insisté Kaïs Saïed, en appelant les «juges intègres à adhérer à la guerre contre la corruption et les corrompus», laissant ainsi entendre que des tractations en coulisses freinent le processus ou détournent les procédures au profit de certaines parties. Auquel cas, nous aimerions voir le président désigner les coupables en question et les faire traduire devant la justice.

Le spectre de la commission financière

Débordant le sujet de la rencontre, le président a averti contre «la nostalgie de certains pour la commission financière ayant préparé la colonisation du pays».

Cette commission financière internationale, rappelons-le, a été créée le 5 juillet 1869, avec un comité exécutif composé de deux Tunisiens et d’un Français et un comité de contrôle constitué de deux Italiens, deux Anglais et deux Français. Chargée de gérer les finances de la régence de Tunis, très endettée auprès des pays européens cités, cette commission a mis la régence sous tutelle étrangère, prélude à sa colonisation par la France en 1881.

En évoquant cette commission de triste mémoire, le président de la république fait-il allusion à la situation actuelle de la Tunisie, contrainte d’accepter les «diktats» étrangers, selon ses termes, pour trouver les financements extérieurs nécessaires à l’exécution de son budget d’Etat ?

Même s’il s’agit là de redites, ces propos ne sont pas anodins. Ils traduisent, en tout cas, la gêne que ressent actuellement le président de la république qui, tout en développant un discours souverainiste qui plait à ses électeurs, se sent néanmoins obligé de composer avec les exigences des bailleurs de fonds étrangers sollicités par son gouvernement, notamment l’Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI), lesquelles exigences sont en nette contradiction avec ce discours, qu’il s’agisse d’une collaboration plus étroite dans la lutte contre la migration irrégulière pour la première ou des politiques d’austérité pour le second.  

Le président espère-t-il pouvoir tirer du processus de conciliation pénale des montants susceptibles d’épargner au pays des engagements internationaux qu’il n’est pas en mesure d’honorer sans perdre la face au regard des Tunisiens ?

On n’ose même pas le penser, car ce processus a pris beaucoup de retard et n’a abouti jusque-là qu’à des résultats mitigés et il serait présomptueux de croire qu’il puisse remplacer l’aide financière internationale dont le pays a besoin. C’est, certes, regrettable, mais on ne peut se cacher derrière son petit doigt et agiter des chimères qui ne tarderont pas à se dissiper et à laisser les Tunisiens face à la triste réalité de leur pays.   

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