Près d’un siècle après, les circonstances exactes de la mort du père du syndicalisme tunisien, Mohamed Ali El-Hammi (1890-1928), restent entourées d’un épais mystère. On parle encore aujourd’hui d’un accident de la route survenu sur la route entre Djeddah et la Mecque, mais cette thèse est peu convaincante, au regard de la personnalité d’El-Hammi et de son intense activité politique et syndicale non tolérée à l’époque en Arabie saoudite.
Par Mohamed Larbi Snoussi *
Le 18 juin 2023, la centrale syndicale, en la personne de son secrétaire général et ses compagnons, a commémoré, avec retard, le 95e anniversaire du mystérieux décès du.
Célébration avec retard certes, car ce dernier est décédé le 10 mai 1928, dans un mystérieux accident de voitures entre La Mecque et Djeddah, où il travaillait, depuis son arrivée au Hedjaz en novembre 1926, comme louagiste.
Nous n’allons pas commenter les motivations, ni les objectifs de cette commémoration, qui semble être un message feutré et bien précis adressé à la présidence pour lui signifier que la centrale syndicale représente un pilier incontournable dans toute négociation avec le FM I. ou l’Union européenne.
Procès de Mohamed Ali et ses compagnons
Nous n’allons pas aussi nous attarder sur les péripéties de Mohamed Ali El-Hammi depuis l’invasion italienne de la Libye, son passage par Istanbul, Berlin, puis son retour à Tunis, où entre 1924 et 1925, il tenta avec d’autres militants destouriens et communistes de fonder une centrale syndicale autonome, la CGTT, refusant toute inféodation à la CGT française, d’obédience socialiste, qui préconisait un colonialisme social, où les travailleurs tunisiens (indigènes) étaient considérés comme des serfs, plutôt que des ouvriers. D’où le bras de fer avec les autorités coloniales, qui ne tarderont pas en 1925 à le juger avec ses compagnons, entre autres Jean-Paul Finodori, Mokhtar El-Ayari (1887-1963) et Ali Karoui (1900-1978) de «complot destouro-communiste contre l’Etat», procès qui s’est terminé par son bannissement pour dix ans.
Procès de novembre 1925 pour complot contre la Sûreté de l’Etat. De gauche vers la droite : Jean-Paul Finidori avec sa canne, Mohamed Ali El Hammi et Mokhtar El Ayari.
Après un passage par l’Italie et l’Egypte, Mohamed Ali El-Hammi débarqua à Djeddah au Hedjaz en novembre 1926, pour s’y installer définitivement, au moment où la région connaissait encore des troubles, suite aux affrontements entre les Hachémites et les Saoudiens, pour voir les premiers délogés par les seconds entre 1924 et 1925.
Nous n’allons pas nous attarder sur ces péripéties, puisque d’autres les ont traitées de long en large. Mais nous allons tenter d’éclaircir certains aspects qui restent encore obscures dans la fin tragique de ce leader syndical dans un accident de voiture sur la route entre Djeddah et La Mecque. Accident mystérieux dont on ne connait pas les circonstances, par manque d’informations et en raison du silence imposé sur cette affaire par les autorités saoudiennes de l’époque.
On pourrait cependant penser que Mohamed Ali fut assassiné pour des considérations politiques, en raison de ses activités syndicales et peut-être aussi de ses positions politiques pro-ottomanes. En effet, il est vraisemblable qu’El-Hammi avait entretenu une activité syndicale auprès des louagistes du Hedjaz qu’il avait essayé d’enrôler dans son projet, tout comme son ami Ali Karoui, qui dès son arrivée en 1925 à Alexandrie, avait pris part à la formation du premier syndicat ouvrier en Egypte.
Mohamed Ali El-Hammi avait-il suscité les soupçons et l’hostilité du nouveau pouvoir saoudien, qui, de par son idéologie religieuse voire fondamentaliste, ne tolérerait aucune autre organisation, politique ou syndicale, dans sa sphère d’influence ? Ce qui donne du crédit à l’hypothèse de son assassinat déguisé en accident de la route, hypothèse qui peut paraître saugrenue pour certains, et qui est difficile à prouver, car nous n’avons aucun document l’attestant, puisque tous les journaux tunisiens, de langue française ou arabe, publiés en mai 1928, se sont contentés d’annoncer le décès du syndicaliste dans un accident de la route sans donner plus d’explications.
Y aurait-il d’autres moyens pour connaitre les circonstances exactes de cet «accident» ?
Il serait peut-être utile de consulter les archives des différents consulats, français, britannique ou autres, installés à Djeddah, ou même les archives ottomanes de cette époque, où, par chance, on pourrait trouver des informations sur ce mystérieux accident qui nous ont manqué jusque-là.
* Historien et journaliste.
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