La Tunisie a longtemps tiré profit de la bonne gestion de son voisinage, européen et maghrébin, pour impulser son économie. Ce n’est malheureusement plus le cas depuis 2011. Il est temps de faire les comptes…
Par Elyes Kasri *
La Tunisie peut légitimement refuser d’être le garde-frontières de l’Europe. Elle doit toutefois se garder de se transformer en relais africain et arabe de l’idéologie xénophobe et raciste de l’extrême droite européenne.
Il est vrai que dans les périodes de crise, la plupart des sociétés modernes subissent l’émergence de courants d’exclusion et de culpabilisation de l’étranger ainsi qu’une certaine psychose complotiste.
La migration en partage
Il serait toutefois judicieux de peser avec sagesse et clairvoyance les avantages à court terme de l’actuelle gestion des flux migratoires avec les possibles préjudices à moyen et long termes aussi bien en termes de validation de discours et pratiques xénophobes bordant sur le racisme qui risquent de se retourner contre les deux millions de Tunisiens résidents à l’étranger, qu’à la stature internationale de la Tunisie surtout sur son continent africain.
Le problème de la Tunisie depuis 2011 et même avant a été de réagir spontanément et même épidermiquement dans l’immédiateté et le court terme sans se soucier de l’avenir et du long terme. Le résultat est malheureusement une décadence dans tous les secteurs et à tous les points de vue. L’évolution des indicateurs sociaux et économiques ainsi que le classement de la Tunisie par toutes les catégories de «ommek sannefa» (ou cuisinière, sobriquet par lequel le président Kaïs Saïed appelle les agences internationales de notation, Ndlr) ne font que confirmer cette tendance.
L’équation à garder à l’esprit est le sort de deux millions de Tunisiens résidents à l’étranger contre une centaine de milliers de Subsahariens qui ne cherchent qu’à transiter par la Tunisie comme ils l’ont fait par la Libye et l’Algérie.
La fraternité algérienne
En recevant l’ambassadeur d’Algérie, le ministre tunisien du Tourisme a affirmé que 1.131.000 touristes algériens se sont rendus en Tunisie au cours du premier semestre 2023. Ce chiffre indique une reprise du tourisme algérien et l’engouement constant de nos frères algériens pour l’hospitalité tunisienne.
S’il y a lieu de se féliciter de l’intensification des visites entre voisins et frères, il serait quand même utile de se poser certaines questions à savoir:
– le nombre de touristes algériens ayant résidé dans des établissements hôteliers ou homologués comme résidences touristiques;
– l’apport, global et par individu, en devises de ces touristes algériens à travers le réseau bancaire local;
– le solde dégagé par chaque touriste algérien au profit du trésor public tunisien, en tenant compte du pourcentage, à confirmer mais que certains estiment très élevé, du recours des touristes algériens aux réseaux de change et d’hébergement informels et leur bénéfice de produits et services subventionnés par le contribuable tunisien.
Certains prétendent que le séjour de nos frères et voisins algériens est un geste de générosité et de solidarité envers la Tunisie.
D’autres tendent à penser, non sans raison et dans l’attente d’une comptabilité sereine et apolitique, que la générosité et la solidarité ne sont pas forcément dans ce sens.
* Ancien ambassadeur.
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