La question migratoire enfonce un coin entre la Tunisie et la Libye

La question migratoire commence à empoisonner les relations entre la Tunisie et la Libye, les migrants subsahariens refoulés à la frontière des deux pays devenant un point de discorde et un objet de chantage entre les deux pays. (Illustration: face au silence tunisien, la propagande libyenne).

Par Imed Bahri  

Au moment où le Palais de Carthage abritait la signature du mémorandum d’accord entre la Tunisie et l’Union européenne (UE) portant essentiellement sur la migration, dimanche 16 juillet 2023, Tripoli a diffusé des photos et des vidéos représentant des migrants subsahariens témoignant de la répression dont ils auraient fait l’objet en Tunisie. Ces derniers affirment avoir été déportés de force des villes tunisiennes où ils résidaient vers la frontière avec la Libye, certains montrant même aux caméras des traces de violences qu’ils auraient subies de la part des unités sécuritaires tunisiennes.

Propagande libyenne

Au-delà des doutes que l’on pourrait sérieusement avoir sur l’authenticité de certains témoignages, qui semblent avoir été obtenus moyennant quelques menaces ou promesses, les moyens humains et techniques mis pour la réalisation de ces vidéos (avec notamment des images aériennes) et la propagande évidente pour l’Etat libyen sur l’aide qu’il aurait portée aux migrants subsahariens ne laissent aucun doute sur l’intention des autorités libyennes de nuire à l’image de leurs homologues tunisiennes.

Dans le même temps, des envoyés spéciaux de médias internationaux ont été autorisés (sinon transportés sciemment sur les lieux) pour rapporter dans leurs reportages des histoires selon lesquelles les gardes-frontières libyens ont sauvé des dizaines de migrants abandonnés dans le désert par les autorités tunisiennes sans eau ni nourriture.

«Des centaines de migrants originaires de pays d’Afrique subsaharienne ont été emmenés de force dans des zones désertiques et hostiles limitrophes de la Libye et de l’Algérie après des troubles raciaux début juillet à Sfax, la deuxième ville de Tunisie», a ainsi rapporté l’agence AFP dont une équipe dépêchée à la frontière entre la Libye et la Tunisie affirme avoir vu, dimanche 16 juillet, «des migrants visiblement épuisés et déshydratés, assis ou allongés sur le sable et utilisant des arbustes pour essayer de se protéger de la chaleur estivale brûlante qui a atteint 40 degrés Celsius (104 Fahrenheit)».

«Le groupe se trouvait dans une zone inhabitée proche d’Al-Assah, une ville près de la frontière Tunisie-Libye, à près de 150 kilomètres (93 miles) à l’ouest de Tripoli.‘‘Le nombre de migrants ne cesse d’augmenter chaque jour’’, a déclaré Mohamad Abou Snenah de l’unité de patrouille des frontières, en disant à l’AFP qu’ils ont sauvé ‘‘50 à 70 migrants’’. ‘‘Nous leur offrons des soins médicaux, des premiers secours, compte tenu du voyage qu’ils ont fait à travers le désert’’», rapporte notamment l’agence française, dont les correspondants ont rendu visite à un centre d’accueil, où ils ont vu «un groupe de femmes et d’enfants, dont des tout-petits, allongés sur des matelas et mangeant du yaourt».

L’AFP cite la mésaventure du migrant ivoirien Abou Kouni, qui affirme être arrivé en Tunisie il y a sept ans, avant d’être appréhendé dans la rue la semaine dernière et mis dans un camion avec sa femme, affirmant avoir été «frappé» par des policiers qui auraient menacé de le tuer. La police tunisienne, a affirmé Abou Kouni, «a dit qu’ils allaient nous jeter en Libye», ajoutant: «On n’a pas besoin de vous en Tunisie.»

Le silence tunisien

Ce sont ces témoignages qui sont relayés par les médias internationaux, aux quatre coins du monde et dans toutes les langues. En face, les autorités tunisiennes observent un étrange silence sur cette question, se contentant de diffuser les déclarations souvent violentes du président de la république Kaïs Saïed parlant de réseaux criminels qui exploitent les migrants et complotent contre la Tunisie et sa sécurité intérieure.

Par ailleurs, les informations diffusées par des sources officielles sur l’aide dispensée aux migrants subsahariens par le Croissant rouge tunisien (CRT) restent très insuffisantes pour convaincre l’opinion internationale sur les bonnes dispositions de Tunis à l’égard des migrants irréguliers et sa volonté de les traiter dans le strict respect des droits humains.

Les images de la détresse de ces migrants abandonnés à la frontière entre la Tunisie et la Libye plairaient beaucoup, on l’imagine, à l’extrême-droite au pouvoir dans plusieurs pays européens, notamment en Italie, qui y verraient la justesse de leur politique consistant à ériger des murs entre le nord et le sud de la Méditerranée, et qui, aujourd’hui, attendent de la Tunisie qu’elle devienne un levier important de cette politique. Mais elles nuisent énormément à la réputation de notre pays et risquent même d’empoisonner durablement ses relations avec ses voisins africains.

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