L’opposition tunisienne à la croisée des chemins  

«Une opposition sans proposition n’est qu’un mouvement d’humeur», disait l’écrivain français Robert Sabatier, analyse pertinente qui s’applique malheureusement à l’opposition tunisienne actuelle. Qui peine à peser face à un président à la fois autocrate et populaire.  

Par Hssan Briki

Dimanche le 25 juillet 2023, à l’occasion du deuxième anniversaires de la proclamation des mesures d’exception par Kaïs Saïed, l’opposition tunisienne à organisé trois manifestations de protestation à Tunis. Mais bien que le bilan du président de la république au cours de ces deux ans soit très négatif, elle semble encore incapable de mobiliser l’opinion autour de ses revendications, ou de réduire la confiance que la majorité des Tunisiens voue encore le locataire du palais de Carthage. Pourquoi ?

Chacun pour soi

Trois fronts de l’opposition en Tunisie dont le Front de salut national, le quartet de partis sociaux-démocrates (Attayar, Al-Joumhouri, Al-Qotb, Parti des Travailleurs) et le Parti destourien libre (PDL), ont organisé trois manifestations distinctes. Ils se donnaient pourtant les mêmes objectifs et brandissaient pratiquement les mêmes slogans.

Des centaines de manifestants ont scandé des slogans hostiles au pouvoir en place et au président Saïed, réclamé la libération des opposants emprisonnés depuis février dernier, et dénoncé le mémorandum sur la migration récemment signé entre la Tunisie et l’Union européenne. Autre dénominateur commun entre ces mouvements, c’est la faible participation populaire à leurs mouvements que la canicule ne saurait à elle seule justifier. 

Zéro autocritique  

Une impuissance inquiétante face au constat d’échec du président, sur tous les plans et surtout au niveau socio-économique, dont l’impact est direct sur le quotidien du peuple. Si l’opposition se montre encore incapable de tirer profit des difficultés du président pour pousser son avantage et gagner la sympathie du grand public, c’est en partie parce qu’elle n’a jamais fait son autocritique, à l’exception des deux jeunes partis, Attayar et Afek Tounes, qui ont organisé des congrès pour faire leur bilan, reconnaître leurs erreurs, assumer leurs responsabilités et changer de dirigeants.

Les autres partis, surtout les importants d’entre eux, ont conservé les mêmes méthodes, les mêmes discours et les mêmes dirigeants, dont certains occupaient les devants de la scène depuis l’époque de Bourguiba et Ben Ali, et qui ont commis des erreurs durant la période de transition démocratique, entre 2011 et 2021. N’est-ce pas Rached Ghannouchi, Néjib Chebbi ou autres Hamma Hammami ?  

Jamais tiré les leçons  

Sans bilan ni autocritique ni révision, on ne peut tirer les leçons des erreurs passées pour repartir sur de nouvelles bases. On tomber nécessairement dans le ronron habituel et les vaines querelles personnelles, idéologiques et de leadership, dont les gens se sont lassés.

Les opposants ne se rendent même pas compte que ce sont justement leurs pratiques d’un autre âge qui ont poussé les gens à voter pour un homme complètement étranger au sérail politique, Kaïs Saïed en l’occurrence, qui n’a ni un parti pour porter sa candidature ni un programme politique digne de ce nom et qui se donne pour unique mission de faire table rase et de rompre avec le passé. Pis encore, à chaque fois que la réalité économique et sociale menace de porter un coup à la confiance populaire dont jouit le président, ces mêmes pratiques, devenues ennuyeuse et agaçantes, confèrent à ce dernier une nouvelle légitimité et renforce sa popularité prouvée par les sondages d’opinion. 

Opposition sans proposition 

Le rôle de l’opposition se limite-t-il à publier des communiqués et à organiser des manifestations pour critiquer le pouvoir en place, dénoncer ses abus et dresser un bilan de ses ratés ? Ne doit-elle pas aussi proposer des alternatives claires et crédibles, et aller vers les gens pour les convaincre de s’engager dans un projet concret de redressement national ? Ces alternatives existent, dit-on, il n’en reste pas moins vrai qu’elles ne sont pas suffisamment communiqués et expliquées au peuple pour l’amener à s’y associer de façon volontaire et active.  

«Une opposition sans proposition n’est qu’un mouvement d’humeur», disait l’écrivain français Robert Sabatier, analyse pertinente qui s’applique malheureusement à l’opposition tunisienne actuelle.  

Dans le contexte actuel de la Tunisie, l’opposition se retrouve à la croisée des chemins. Pour gagner la confiance des électeurs et être une véritable force politique, elle doit surmonter ses divisions internes, revoir ses méthodes et proposer un projet novateur et réaliste qui réponde aux aspirations du peuple. Sans ces changements essentiels, elle risque de rester dans l’ombre et d’ouvrir un nouveau boulevard devant le président Saïed lors des prochaines présidentielles. 

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