La crise du pain qui affame la Tunisie cristallise l’état d’esprit du citoyen et sa mentalité d’assisté et dévoile l’incapacité de l’Etat à réformer l’économie nationale et à affronter les problématiques de manière pragmatique et axée sur les résultats.
Par Moktar Lamari *
La crise du pain en Tunisie polarise l’attention des médias et agite l’État dans son ensemble. Avide de pain à bas prix, les Tunisiens apparaissent comme des assistés sociaux et des paresseux qui n’arrivent pas à travailler plus pour produire plus de pain entre autres! L’image est dégradante, humiliante…
Le pain est vendu à 6 cents d’Euro, et les consommateurs tunisiens sont capables de s’entretuer pour garder le pain à un prix modique. Cela s’est passé en 1984, où l’armée et la police ont réprimé dans le sang les émeutes du pain, tuant plus de 656 citoyens par balles, lors d’une semaine sombre et sous couvre-feu militaire décrété dans tout le pays. Tout cela pour le pain… il faut le faire!
Aujourd’hui, tout le pays s’empêtre dans une crise de pain sans fin. Une crise qui gangrène le pays, qui discrédite l’Etat et qui dévoile l’état d’esprit d’assisté qui caractérise le Tunisien moyen.
Une image humiliante
Les files d’attentes s’installent dans la culture pour acheter le pain ou le riz, et bientôt l’eau. Et les Tunisiens s’en accommodent, comme s’ils n’ont rien d’autre à faire sauf griller au soleil, à 40° des heures durant pour repartir avec 5 pains sous les bras transpirant une sueur estivale nauséabonde.
L’opinion publique tunisienne accepte ce traitement et les médias véhiculent de façon ostentatoire (souvent complice) cette image humiliante. Les autorités de l’Etat laissent faire et profitent pour gesticuler, s’auto-congratuler et faire l’éloge des mesures «policières» prises par le chef de l’Etat et le ministre de l’Intérieur pour solutionner de façon musclée la crise du pain. Tout ce qu’il ne fallait pas faire.
La solution à la crise du pain qui secoue la Tunisie n’est pas sécuritaire, fondée sur un discours populiste fustigeant les pratiques spéculatives et informelles.
La vraie solution est économique qui s’inscrit dans deux volets interdépendants.
Réhabiliter la loi du marché
Le premier volet est tarifaire, il consiste à réhabiliter la loi du marché, pour que les prix du pain soient encadrés dans un couloir permettant à l’offre de s’ajuster rapidement à la demande. Cette mesure doit s’accompagner par des aides directes et des transferts de revenu aux ménages les plus démunis, mais contre cette approche, des lobbyistes opposent leur veto, on pense aux syndicalistes de l’UGTT, et les rentiers dans plusieurs secteurs (hôtellerie, industrie exportatrice, etc.).
La deuxième solution est celle liée au travail et à la productivité pour relancer l’offre des céréales, valorisant les centaines de milliers d’hectares situés dans les terres les plus fertiles et actuellement en friche, pour dit-on assurer une gestion étatique efficace, les protégeant des convoitises du capital privé.
C’est encore une autre facette de la paralysie qui gèle les esprits, pour préférer le statu quo, remuant un discours démagogique et improductif.
La crise du pain qui affame la Tunisie cristallise l’état d’esprit du citoyen et sa mentalité d’assisté et dévoile l’incapacité de l’Etat à réformer et à affronter les problématiques de manière pragmatique et axée sur les résultats. Une crise parmi tant d’autres, déjà à l’œuvre ou en gestation!
Vu de l’étranger, ces images et comportements de l’Etat tunisien n’honorent pas le branding international du pays et de ses expatriés.
* Economiste universitaire.
Blog de l’auteur. Economics for Tunisia, E4T
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