Tunisie : 54 corps de migrants subsahariens en attente d’inhumation à Gabès 

Des corps de migrants subsahariens reposent depuis trois longs mois dans la morgue de Gabès, rejetés par les municipalités des villes voisines. Leur identité demeure un mystère, leur état de décomposition avancé. Cette tragédie silencieuse met en lumière l’inhumanité aux portes de la Tunisie. On hésite à parler de racisme, mais on n’en est pas loin…

Par Hssan Briki

Depuis le mois de juin, la morgue de l’hôpital régional Mohamed Ben Sassi de Gabès est le théâtre d’une tragédie humaine qui perdure. Cinquante-quatre corps de migrants subsahariens, dont les identités restent inconnues, y reposent, attendant en vain de rejoindre leur dernière demeure. 

Cette situation désolante résulte principalement du refus des municipalités voisines d’offrir une sépulture aux défunts, en dépit des appels à résoudre cette crise émanant du député de la région, Issam Al-Jabri, ainsi que des alertes adressées au ministère de l’Intérieur et au président de la république, Kaïs Saïed.

Personne dans ce pays, quel que soit son niveau de responsabilité, n’est capable de prendre une décision un tant soit peut impopulaire ou rejetée par une partie de la population. Est-ce celle-là la démocratie dont on rêve, celle de l’immobilisme et de l’irresponsabilité générale ?

Des âmes en attente de repos 

Toutefois, de nouvelles informations révélées par la section de Gabès de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (LTDH) ont ajouté une dimension encore plus déchirante à cette tragédie.

La LTDH a publié un communiqué le 5 septembre 2023, révélant que ces 54 corps sont ceux de victimes de naufrages de bateaux de migration irrégulière rejetés par la mer sur les côtes tunisiennes. Non seulement les corps demeurent non-identifiés, mais ils se trouvent également dans un état avancé de décomposition. 

Parmi ces 54 victimes, 22 ont déjà subi toutes les procédures légales nécessaires en vue de leur inhumation. Lors d’une réunion tenue le 16 juin entre la direction de l’hôpital régional, la direction régionale de la santé et les autorités régionales, les corps ont obtenu l’autorisation légale d’être inhumées dignement. Cependant, malgré cette autorisation, les autorités régionales n’ont toujours pas accompli leur mission, laissant les âmes des défunts sans repos. 

Vive consternation 

Face à cette situation, la section de Gabès de la LTDH exprime sa vive consternation et dénonce le mépris des autorités, responsables de l’inhumation digne des victimes de la tragédie de la migration irrégulière. Elle enjoint instamment toutes les parties responsables à procéder à l’inhumation immédiate des 22 corps de victimes ayant obtenu l’autorisation légale, dans des conditions dignes et respectueuses. De plus, elle exhorte toutes les parties impliquées d’accélérer les procédures légales permettant l’inhumation des autres corps des victimes, dont le dépôt à la morgue dépasse désormais trois longs mois. 

La LTDH insiste également sur l’importance d’ouvrir une enquête approfondie afin de déterminer les raisons de cette situation honteuse. Et d’identifier également la responsabilité de chaque partie pouvant être accusée de négligence ou de défaillance. 

Une crise qui s’éternise  

La morgue de Gabès n’est pas la seule à être submergée par cette crise. Celle de Sfax, située un peu plus au sud, fait également état régulièrement de la saturation de ses locaux. En mars dernier, elle comptait 70 corps de migrants pour une capacité totale de 35 places. À quelques kilomètres de là, à Zarzis, les cimetières sont débordés. Les deux lieux de sépulture réservés aux exilés comptent actuellement environ 1 000 dépouilles.  Entre le 1er janvier et le 20 juillet, 901 corps de migrants ont été retrouvés sur les côtes tunisiennes, selon le ministre tunisien de l’Intérieur Kamel Feki. Parmi ces victimes, on compte 26 Tunisiens, 267 migrants subsahariens et 608 corps non identifiés. Ces chiffres mettent en évidence l’explosion du nombre de tentatives de traversée de la Méditerranée depuis la Tunisie, qui devance désormais la Libye en tant que principal pays de départ des exilés de la région.

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