Tunisie : Où est passé l’argent de la réconciliation nationale ?

Kaïs Saïed pensait pouvoir tirer des sommes importantes du processus de réconciliation nationale. Or, un an et demi après la mise en place de l’instance qui en a la charge, la moisson reste très faible voire insignifiante en comparaison avec les énormes attentes du président de la république, qui s’impatiente et le fait savoir. Où se situe le hiatus ? Vidéo..

Par Imed Bahri   

«Il n’y aura pas de réconciliation avec ceux qui ont pillé l’argent du peuple tunisien à moins qu’ils ne paient ou ne soient poursuivis», a averti le président Kaïs Saïed lors d’une visite, vendredi 7 septembre 2023, au siège de la Commission nationale pour la réconciliation pénale à Tunis.

Kaïs Saïed a appelé toutes les personnes citées dans le rapport de la Commission nationale d’enquête sur la corruption et les pots-de-vin présidée par feu Abdelfattah Amor à restituer l’argent pillé au peuple tunisien, sur la base de l’estimation de 2011 avec une augmentation de 10% et en calculant les taux d’inflation annuels.

Le paiement ou les poursuites judiciaires ?

Le président de la république a accusé de tergiversations certains des suspects de spoliation de l’argent du peuple, leur laissant le choix entre le paiement de ce qu’ils doivent à la nation ou les poursuites judiciaires. «Le peuple tunisien n’est pas prêt à la réconciliation avec quiconque veut se cacher derrière le labyrinthe des procédures», a-t-il déclaré, estimant que celles-ci sont longues et fastidieuses. Ce qui est le cas, mais n’aurait-il pas fallu changer d’abord les lois et les procédures pour garantir une protection adéquate à ceux qui vont être obligés de prendre certaines décisions délicates, engageant l’Etat et dont ils risqueraient d’avoir, un jour, à rendre des comptes ?

A ce propos, et comme pour gagner du temps, quitte à bousculer les procédures, le chef de l’Etat a annoncé que les procédures de réconciliation sont suspendues jusqu’au paiement des sommes estimées dans le rapport de la commission Amor. Il n’y aura aucune discussion avec eux avant que l’argent pillé au peuple ne lui soit rendu, a-t-il averti. Il ne reste donc plus qu’à faire l’addition des sommes que l’on espère récupérer, mais les choses vont-elles vraiment se passer ainsi ? Les juges en charge de l’instruction des dossiers et de la poursuite des négociations avec les présumés coupables l’entendront-ils de cette oreille, eux qui sont tenus de respecter les lois et les règlements et qui marchent sur des œufs ?

Ce n’est visiblement pas le problème du président de la république, qui veut des résultats et le plus rapidement possible. Il a d’ailleurs déclaré qu’en 2011, un homme d’affaires – dont le nom n’avait pas été cité – avait exprimé, sous la pression de la rue, sa volonté de payer une somme de «3.000 milliards» – somme délirante s’il en est et qu’un citoyen lambda aurait du mal à imaginer – mais qu’aujourd’hui, il négocie avec la commission après avoir été dans les bras du pouvoir pendant dix ans.

Le président Saïed a estimé que le tribunal devait appliquer la procédure antérieure et que la réconciliation ne pouvait être acceptée que sur la base de ce qui avait été estimé en 2011, se référant au rapport de la commission Amor.

La corruption administrative en question

Ceux qui ont délibérément vidé les dossiers des personnes impliquées dans le pillage des fonds du peuple tunisien au cours des 12 dernières années doivent en assumer la responsabilité, a martelé le chef de l’Etat, laissant entendre que des tractations ont eu lieu après 2011 entre les personnes citées dans le rapport Amor et des responsables de l’Etat, qui se sont traduites par des «échanges de bons procédés» ou des renvois d’ascenseur, dans une limpide allusion à la corruption administrative, nouveau cheval de bataille de Saïed.

Le président a, dans ce contexte, appelé les autorités publiques à coopérer avec la Commission de réconciliation pénale jusqu’à ce que ces fonds soient récupérés, sachant que des membres de celle-ci se sont ouvertement plaints de la lenteur administrative voire parfois de l’absence de réponse de la part des institutions concernées aux requêtes des enquêteurs.

A noter que les membres de la Commission nationale de réconciliation pénale ont été nommés en novembre 2022 pour une durée de six mois renouvelable une fois. Elle est chargée de restituer les fonds publics spoliés, que le président de la république a estimés à 13,5 milliards de dinars (excusez du peu). Le mandat de la commission ayant été renouvelé une fois, il devra prendre fin dans deux mois. Or, les fonds qu’elle a pu récupérer jusque-là restent faibles, trop faibles, presque insignifiants en comparaison avec les énormes attentes du président de la république qui comptait sur cette supposée manne pour retaper des finances publiques en charpie.

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