La Commission européenne a défendu mardi 12 septembre 2023, face aux critiques virulentes de certains députés, le partenariat migratoire signé en juillet avec la Tunisie, affirmant que la coopération avec notre pays avait conduit cette année à une augmentation des interceptions et des sauvetages de bateaux
Par Imed Bahri (avec agences).
La Tunisie est, avec la Libye, le principal point de départ de milliers de migrants traversant la Méditerranée centrale vers l’Europe et arrivant en Italie.
Le mémorandum d’accord UE-Tunisie, signé en juillet dernier, est critiqué d’une part par la gauche et les Verts, qui dénoncent l’autoritarisme du président Kaïs Saïed et les exactions subies par les migrants subsahariens dans notre pays.
A droite et à l’extrême droite, les députés jugent cependant sa mise en œuvre insuffisante pour réduire le nombre d’arrivées de migrants en Europe.
Lors d’une session plénière du Parlement européen à Strasbourg, le commissaire européen Oliver Varhelyi a reconnu qu’«un certain nombre de développements récents étaient préoccupants». Mais «la situation difficile des migrants coincés dans les régions frontalières (de la Tunisie avec la Libye et l’Algérie) ou le nombre élevé d’arrivées irrégulières (dans l’UE) illustrent l’urgence de redoubler d’efforts et de coopérer étroitement en la matière», a-t-il estimé.
«C’est précisément l’une des raisons pour lesquelles ce nouveau partenariat global et stratégique avec la Tunisie est nécessaire», a-t-il poursuivi, indiquant que cette année, «grâce à la coopération» avec l’UE, les garde-côtes tunisiens ont procédé à «près de 24 000 interceptions d’embarcations» transportant des migrants, «contre 9 376 en 2022».
Des résultats encore mitigés
«En 2022, 32 459 vies ont été sauvées par les gardes-frontières et garde-côtes tunisiens. Cette année, nous sommes déjà près de 50 000 vies sauvées grâce à cette coopération», a-t-il assuré.
Le commissaire européen a indiqué que «l’accent a été mis sur la mise en œuvre rapide» de ce partenariat, portant également notamment sur la stabilité macro-économique, le commerce et les investissements.
«La situation socio-économique (en Tunisie) rend d’autant plus pertinent que l’Union européenne s’engage fortement dans la région», a-t-il déclaré. «Ce partenariat est important à long terme, mais il doit également produire des résultats à court terme», a déclaré l’eurodéputé néerlandais Jeroen Lenaers du Parti populaire européen (PPE, droite). «Nous sommes en septembre et déjà le nombre d’arrivées en Europe via la Méditerranée centrale est au même niveau que pour l’ensemble de l’année dernière», a-t-il déclaré, en faisant remarquer que, «deux mois après la cérémonie de signature, nous ne voyons pas beaucoup de mise en œuvre» et que «les arrivées continuent d’augmenter et sur le terrain en Tunisie, nous constatons peu de développement.»
Le Français Thierry Mariani (ID, extrême droite) a jugé qu’il y avait «urgence à finaliser» ce partenariat.
Pendant le débat houleux, Tineke Strik, du groupe des Verts, a déclaré que «l’accord n’a fait qu’engendrer davantage de répression, davantage de morts et encore davantage de migrations». Elle a dénoncé un «sale accord avec l’implacable dictateur Saïed», qui «incite à la violence contre les migrants noirs».
«L’UE ne peut pas financer un régime autoritaire pour externaliser la gestion des migrations dans le seul but de satisfaire les forces de droite en Europe», a déclaré l’eurodéputé socialiste portugais Pedro Marques.
De son côté, Manfred Weber, le leader du PPE, a affirmé mardi qu’une légère hausse du nombre de migrants immédiatement après la signature de l’accord était attendue avant que les chiffres ne diminuent finalement.
La commissaire des affaires intérieures de l’UE, Ylva Johansson, a déclaré en juillet que 45 000 demandeurs d’asile avaient quitté la Tunisie pour l’Europe cette année, soit une augmentation considérable par rapport aux années précédentes. Parmi eux, environ 5 000 seraient d’origine tunisienne, signe que le pays est devenu un pays de transit de plus en plus populaire pour les migrants et les réfugiés.
Les droits de l’homme en danger
Les législateurs européens ont fustigé la Commission européenne pour ne pas avoir reconnu les preuves croissantes du traitement abusif des autorités tunisiennes envers les migrants subsahariens, notamment les refoulements illégaux, la haine raciale et les violations des droits humains.
Début août, 27 migrants ont été retrouvés morts sur le territoire libyen, près de la frontière tunisienne, quelques jours après que le ministre de l’Intérieur, Kamel Fekih, a admis que de petits groupes de migrants étaient repoussés vers la région désertique frontalière de la Libye et de l’Algérie. «Nous nous souvenons tous de l’image des corps d’une mère et de sa fille dans le désert, payés avec de l’argent européen», a déclaré Sophie in ‘t Veld de Renew Europe. «C’est inquiétant car il s’agit d’une des nombreuses tentatives inutiles d’externaliser le contrôle des frontières européennes avec de grands risques pour les droits de l’homme», a déclaré Brando Benifei, du groupe des Socialistes et Démocrates. «Cette UE qui fait cela, c’est une UE perdue. C’est une UE décadente. C’est une UE qui ne défend pas la démocratie et les droits de l’homme», a renchéri le député de gauche Malin Björk.
Ce n’est pas la première fois que les députés européens critiquent de manière virulente l’UE pour sa complicité avec le président tunisien Kaïs Saïed, qui a déjà adhéré aux théories conspirationnistes de l’extrême droite selon lesquelles les migrants complotent pour modifier la composition démographique du pays.
«Demain, à cet endroit précis. La présidente von der Leyen affirmera avec force qu’elle défend farouchement la démocratie contre l’autocratie, mais en même temps, elle présente fièrement de sales accords avec un dictateur impitoyable», a déclaré Strik du groupe des Verts,.
L’Europe «somnambule»
D’autres députés ont défendu l’accord de la Commission européenne comme étant essentiel pour soutenir la gestion des frontières de l’UE face à des niveaux de migration élevés. «Nous avons besoin d’une coopération extérieure. L’accord UE-Tunisie est essentiel pour conserver un contrôle strict des frontières de l’UE, pour notre propre sécurité et pour des raisons humanitaires», a déclaré Sara Skyttedal du PPE. «Nous devons travailler de manière décisive à long terme et sur tous les fronts. Nous devons mettre en place une politique migratoire commune et durable, et nous devons approfondir la coopération avec des pays comme la Tunisie. Ensemble, nous pouvons faire la différence et sauver des vies tragiquement détruites en mer à cause d’une politique migratoire hypocrite», a-t-elle ajouté.
La migration devrait devenir une question clé lors des élections européennes de 2024, ainsi que lors des prochaines élections nationales en Pologne et aux Pays-Bas.
L’UE a déclaré qu’elle souhaitait que l’accord migratoire tunisien devienne un modèle pour des accords similaires avec d’autres pays d’Afrique du Nord.
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