La terre a tremblé au Maroc à une amplitude autour de 7 degré sur l’échelle de Richter, d’après les spécialistes. Les dégâts ont été considérables dans le sud du pays, ravivant inégalités sociales et rivalités internationales.
Par Jean-Guillaume Lozato *
Oubliant le principal, c’est-à-dire le drame humain et son cortège de défunts, le monde s’est concentré, dès les toutes premières heures de l’événement, sur le comportement du gouvernement marocain vis-à-vis des réactions extérieures.
Marrakech et sa région. Des morts. Des blessés. Des dégâts matériels considérables. Du désespoir. Le désespoir. Des miraculés. Tout ça suite aux violentes secousses telluriques qui se sont produites.
Les circonvolutions géopolitiques ont succédé aux condoléances en empruntant les voies du cynisme et de l’indécence.
Fierté ou orgueil démesuré ?
Tout est question de formulation, d’interprétation. Les spécialistes en communication vous le diront. Les autorités marocaines ont exprimé le souhait de n’accepter l’aide officielle de seulement quatre pays: le Royaume-Uni, le Qatar, l’Espagne, les Émirats arabes unis.
De cette liste ressort un aspect sélectif. Cependant, il convient d’en noter le côté varié, à soupeser consciencieusement. L’Occident et l’Orient y sont représentés à parts strictement égales. Par conséquent, nul ne saura reprocher une quelconque mauvaise foi ethnocentrique.
Si on affine l’analyse, alors on perçoit une primauté de la monarchie. D’abord dans sa place officielle. Puis dans sa version ploutocrate avec la catégorie si particulière de la pétromonarchie.
Vient alors l’aspect géographique des choses. L’Espagne est une voisine directe. L’Angleterre accompagnée de ses vassaux anglophones se trouve sur l’Atlantique comme l’Empire Chérifien. Maroc et Royaume-Uni ont en outre le point commun de s’être rallié chacun à sa manière aux États-Unis d’Amérique; l’un en étant le premier Etat à en reconnaître l’indépendance, l’autre en entretenant un lien de quasi-filiation.
En fait, le Maroc a soupesé le pour et le contre d’une situation d’urgence, et a préféré la neutralité, le pragmatisme au contraire d’une collaboration s’envisageant moins sereine avec l’Algérie pourtant frontalière et la France. Une triangulation où les autorités marocaines semblent renvoyer un boomerang en direction de la France avec qui elle est en froid et avec l’Algérie à qui elle veut démontrer que la fierté nationale n’est pas son seul apanage.
La fausse manœuvre de la France
La nation anciennement dirigée par Charles de Gaulle du temps où elle comptait encore des colonies n’a pas su mettre à profit les relations poussées positives construites sous le règne de feu sa Majesté le Roi Hassan II. De l’Indépendance à la fin du second mandat chiraquien, les relations s’étaient pourtant élaborées autour d’un réchauffement continu. Des hommes politiques comme Chirac ou Jack Lang y ont séjourné assidument. Des célébrités, des membres de la Jet Set s’y sont fait remarquer, surtout à Marrakech : Cristiano Ronaldo, le footballeur portugais, ou son confrère italien Marco Verratti, ce qui prouve l’aura marocaine en Europe, tout comme le DJ français Michel Challe ou le couturier Yves Saint-Laurent. Une dimension festive qui a donné une nouvelle image au pays maghrébin, mais recentrée sur la fulgurance d’une superficialité nocive. C’est justement cette localité et ses environs qui ont été frappés par un séisme de grande ampleur, cristallisant les erreurs de jugement trop hâtives d’Européens ne comprenant pas que le sud marocain ne se limitait pas seulement à son chef-lieu. Et que le Royaume comptait plusieurs régions, plusieurs facettes. Et que les temps avaient changé depuis le décès du père de l’actuel régent.
Nous sommes entrés depuis 1999 dans l’ère de Mohammed VI. Un monarque plus communicant, plus proches des gens humbles que son prédécesseur, qui lui s’était trouvé dans l’obligation de recadrer un territoire entier au lendemain de la décolonisation. Hassan II était resté proche de la France car maniant à merveille la langue de Molière et connaissant bien des arcanes de la culture hexagonale. Son successeur connaît lui aussi très bien la patrie de Vercongétorix, Louis XIV et Napoléon. Pour preuve son abnégation à lire des romans en langue française déjà perceptible dans les reportages sur sa scolarisation pendant les années soixante-dix où il déclarait être en train de lire ‘Le chien des Baskerville’’ de l’Anglais Conan Doyle autour de son personnage phare Scherlock Holmes. Le célèbre détective devrait justement prêter sa loupe aux observateurs occidentaux afin qu’à l’aide d’un grossissement sur l’enfant devenu homme, ils s’aperçoivent que non seulement il fait preuve de plus d’ouverture, mais que de surcroît, il s’agit d’un élargissement d’horizon puisqu’il ne s’intéresse à beaucoup d’endroits du monde, et non plus prioritairement à la France. Ce que cette dernière n’a pas forcément réalisé.
De plus, un peu à la façon d’un autisme gouvernemental héréditaire, les gouvernements français ont œuvré le plus souvent en faveur de l’Algérie, dans le cadre d’une relation compliquée. Faisant cohabiter culpabilité et opportunisme. Un paradoxe illustré par la personne de l’ancien président de la république François Mitterrand d’abord ayant été favorable à l’exécution de membres du FLN pendant la colonisation, puis ayant contribué à faire acheter le gaz algérien selon un montant situé au-dessus de son prix réel de l’époque.
Par sa méconnaissance de l’international et ses hésitations avec le monde arabe, le président Emmanuel Macron s’inscrit dans la lignée de beaucoup de politiciens mais aussi de bien des membres de l’Union européenne (UE) ne prêtant attention au Maghreb que lorsque les migrants frappent à leurs portes.
Quant au reste de l’Europe les compétences et les incompétences se télescopent, quand ce n’est pas l’ignorance.
Conséquences et perspectives
Cette étape aux accents humanitaires sera peut-être l’occasion pour le plus à l’Ouest des États arabes de prouver sa valeur en se relevant de façon fulgurante. Insistons sur l’expression «peut-être», en accord avec un fataliste et dévoué «inchallah».
Le manque de certitude se présente comme entretenu par plusieurs facteurs…
1- Les aléas climatiques (cette année, le Maroc a connu une canicule d’un type exceptionnel, avec un air étouffant des plus surprenants au bord de l’Atlantique) et géologiques indépendants de la bonne volonté du Palais Royal.
2- L’économie : malgré des signes encourageants propulsés par l’afflux d’investisseurs étrangers et un agenda politique minutieusement élaboré par le Makhzen, une catastrophe naturelle a les facultés de ralentir n’importe quelle croissance. Le Maroc prouvera ou non qu’il a les capacités pour rebondir.
3- La diplomatie, la géopolitique en général : a- les rapports avec les Etats-Unis sont cordiaux, même bons, et des échanges avec le Canada se bâtissent de plus en plus dans le cadre de la recherche scientifique. Toutefois, ces deux États se trouvent loin, car l’Atlantisme est une référence aussi vaste que la superficie de l’Atlantique. L’Occident ne se limite pas uniquement à l’Europe mais cette dernière est la plus proche territorialement; b- le Roi bénéficie d’une aura évidente auprès de la Cedeao. Mais est-ce suffisant pour avoir assez de poids internationalement aux yeux des observateurs mondiaux?; c- les relations avec Israël tendent à se normaliser à grande vitesse. Cela contient un aspect à double tranchant. Logiquement, cela détient les capacités de déboucher sur d’importantes collaborations dans le domaine économique, sécuritaire, pharmaceutique. Mais est-ce que ça ne peut pas contribuer le pays à se faire ostraciser à moyen terme par d’autres nations arabes réfractaires à ce type de processus ?
Pour livrer une synthèse de ces tous derniers points, faisons référence à cette déclaration de Dominique Strauss-Kahn : «Les relations France-Maroc sont exécrables». Cela préfigure-t-il un isolement ? Ou bien une réorientation générale ?
Mohammed VI a bien besoin d’encouragement, d’un droit de réponse. De paix. Et d’un respect primordial. Assurer avec fierté la représentativité du pays dont la charge fait partie du code déontologique de n’importe quel haut dirigeant.
La catastrophe survenue au Maroc relève de la malédiction et de la bénédiction selon les interprétations, si l’on se réfère à la sensibilité des premiers concernés donc premiers autorisés à s’exprimer sur le sujet : les Marocains.
Le sismographe n’est pas fait que pour détecter les ondes de choc marocaines. Il en va de la géomatique comme de la vie économique et politique si l’on apporte un sens figuré. Tout pays est vulnérable un jour ou l’autre, à plus ou moins grande échelle, devant la puissance de la nature. Il en va de même pour les circonstances géostratégiques.
L’actuel souverain marocain se pose en leader arabe, et l’Occident tient là l’opportunité de négocier avec un personnage moins fantasque que le Guide de la Libye Mouamar Khadafi, dont le pays vient justement tout juste d’être ravagé par une tempête.
Avec Mohammed VI, l’Europe et les États-Unis peuvent s’appuyer sur une personnalité utile à la vraie collaboration avec l’Afrique (et non une collaboration tronquée comme avec l’ancien dirigeant libyen). De plus, il détient le titre de Commandeur des Croyants, ce qui peut atténuer d’éventuelles velléités consacrées à la récupération religieuse de mouvements politiques internes ou externes.
Dominique Strauss-Kahn, qui avait grandi à Agadir, est retourné s’installer au Maroc et a les capacités pour jouer un rôle déterminant en tant qu’éminent spécialiste de l’économie mondiale tout droit sorti du FMI pour affiner de vraies relations Maroc/Europe et Maroc/Maghreb. En plus des conseils de l’ancien ministre français, d’obédience hébraïque (ce qui serait un avantage pour servir de tampon entre Orient et Occident , n’oublions pas le rôle du conseiller du Roi Hassan II, le Juif Marocain André Azoulay), la relecture d’un ouvrage comme ‘‘Stupeurs et tremblements’’ allierait le ludique à l’utile : dans ce roman tant d’apprentissage qu’autobiographique (dont l’adaptation portée à l’écran avait révélé l’actrice Sylvie Testud), on découvre comment une salariée française qui perçoit les codes du monde du travail japonais en travaillant ses facultés d’adaptation et d’observation. Une histoire qui s’est déroulée au Japon, pays à la forte activité sismique…
* Universitaire.
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