Le poème du dimanche : ‘‘La muse aigrie’’ de Abdelaziz Kacem

Né en 1933 à Bennane, Abdelaziz Kacem est poète, écrivain et universitaire. Il a été haut fonctionnaire à la culture en Tunisie où il a dirigé la Bibliothèque Nationale et la Radio et Télévision Tunisienne.

Enseignant dans différents établissements universitaires, Abdelaziz Kacem est l’une des rares voix bilingues de la poésie tunisienne, où il fait dialoguer la culture arabo-musulmane avec la culture européenne et occidentale en général, dans un souci d’ouverture, de tolérance et d’entente universelle. Et ce, jusqu’à la forme d’écriture mêlant patrimoine classique et volonté moderniste.

Sa poésie est appuyée par des écrits théoriques, où d’un ouvrage à l’autre, les problématiques du passé sont mises au service de l’actualité, avec exigence et regard critique.

Quelques titres de poésie : Moisson de soleil (en arabe), 1975; Frontal, MTE, 1983; L’hiver des brûlures, Cérès, 1994; Zajals, Riveneuve, 2014.

Tahar Bekri

I

J’arrête ici l’hymnaire
D’amour en trop d’amour en troc
Poète usé de si longtemps démissionnaire
Contiens donc ta phobie du clinquant et du toc
À quoi as-tu forcé tes dons de visionnaire
Sinon à bricoler un trobar lacunaire
N’es-tu qu’un orpailleur du songe au pays d’Oc
Désuète alchimie à bout d’imaginaire
Ta viole est enrouée qui par la rime ad hoc
Cherche à troubler le cœur qui feint d’être de roc

II

D’où vient que de froidure
On t’ait grand brûlé accusé
Muse aigrie tu me fis élever à la dure
J’ai vidé des recueils pour un tour récusé
Depuis le temps qu’au gré des mots tout cela dure
À ce jeu-là je perds mais la partie perdure

Pourquoi cette ire indue dont tu as abusé
Je te vois aux aguets et prompte à la rature
Montre-moi le talent dont j’aurais mésusé
À combien de fatras je me suis refusé

III

Préside ô Melpomène
À mes futurs délabrements
Allez Muse vas-y chapitre et morigène
Comme si tu n’as point induit mes errements
À d’autres tu consens truquage et fumigène
À moi de raffiner azote et oxygène
Lassé de mes dénis et mes revirements
L’enfant dont je snobais l’oripeau indigène
Me reconnaît à mes urbains accoutrements
Et me hantent la nuit ses lointains pleurements

IV

À l’insu de Tantale
Ma soif se risque à son sorbet
Et j’ai beau pratiquer l’envolée zénithale
Partout mon grand arroi essuie le quolibet
L’aède offrait jadis à leur ouïe triviale
De charmants rudiments en aumône légale
La chanson éolienne au son d’un galoubet
Nourrit le culte ancien d’une oraison mariale
Plus je prie plus je paie plus je suis à débet
Plus la foule repue foule au pied l’alphabet

Extraits de « Zajals », Riveneuve, 2014.

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