Concernant le conflit israélo-palestinien, il y aura lieu d’assurer une meilleure harmonisation entre les discours enflammés et les moyens de la Tunisie ainsi que sa capacité d’influence sur la scène internationale et au sein des organisations régionales et multilatérales.
Par Elyes Kasri
L’impression d’un décalage entre le discours et les actions sur la scène internationale pourrait confirmer l’opinion exprimée par la présidente du conseil italien Giorgia Meloni selon laquelle les discours sont faits en Tunisie pour la consommation locale, laissant entendre une dualité du discours officiel tunisien et peut-être même une duplicité politique.
D’autre part, certaines positions suscitent des interrogations chez de nombreux observateurs sur le professionnalisme de l’interaction tunisienne avec des acteurs étrangers.
Eviter les surenchères populistes
En tout état de cause, l’importance accordée par le peuple tunisien à la cause palestinienne et la crédibilité historique acquise par la Tunisie au prix du sang des martyrs tunisiens en Palestine et à Hammam-Chott exigent une adhésion indéfectible à la légalité internationale et un engagement sans ambiguïté en vue d’une solution juste et durable du conflit israélo-palestinien loin des surenchères populistes avec le revers de la médaille fait de realpolitik sur la scène internationale que certains pourraient assimiler à des gesticulations sans effet qui ne peuvent que susciter des interrogations sur la sincérité de l’engagement de la Tunisie et sa crédibilité internationale.
La Tunisie a su sous les présidents Bourguiba et Ben Ali, jouer un rôle respecté par toutes les parties concernées dans la défense des droits de nos frères palestiniens sans verser dans la surenchère ni la gesticulation spectaculaire.
C’est un fait historique que le leader Yasser Arafat venait en Tunisie régulièrement pour obtenir les conseils de Feu Zine El Abidine Ben Ali et que l’ancien ministre des Affaires étrangères Habib Ben Yahia était considéré comme une référence appréciée par les Américains, les Russes, les Européens, les Arabes et surtout les Palestiniens pour aider à rapprocher les positions et faire avancer le processus de paix au Moyen-Orient.
Si ce processus s’est arrêté pour des considérations stratégiques globales et du fait de l’émergence d’un monde unipolaire, la Tunisie a quand même eu le mérite de soutenir de bonne foi toutes les bonnes volontés désireuses de parvenir à une paix juste, équitable et durable et épargner aux peuples de la région et la communauté internationale des crises et des conflits de nature à menacer la paix et la sécurité internationales.
La Tunisie peut et doit jouer ce rôle en revenant aux fondamentaux de sa diplomatie et en se gardant de faire des relations internationales une arène de passions, de grandiloquence et de faux espoirs.
Jusqu’auboutisme arabe et expansionnisme sioniste
Dans ce contexte, exiger «la libération de toute la Palestine historique» équivaut à un rejet de toutes les décisions et résolutions de l’Organisation des Nations Unies depuis la résolution 181 de partage de la Palestine adoptée le 29 novembre 1947.
Malgré le non-respect par Israël de la plupart de ces résolutions, rejeter le plan de partage et les résolutions du Conseil de Sécurité et de l’Assemblée générale des Nations ainsi que de la Ligue des Etats arabes y afférentes est un rejet de ce qui est considéré comme la légalité internationale et l’un des piliers de la politique étrangère de la Tunisie depuis son indépendance.
Historiquement, les jusqu’auboutistes ont toujours été les meilleurs alliés objectifs de l’expansionnisme sioniste. C’est ce qui a fait dire à Golda Meir, Premier ministre israélien, que Bourguiba est l’ennemi le plus dangereux d’Israël après son discours historique de Jéricho encourageant les Palestiniens à accepter le plan onusien de partage et à défendre leurs droits dans le cadre de la légalité internationale.
Les Palestiniens et les autres pays arabes ont regretté plus tard d’avoir laissé leurs émotions prendre le dessus et d’avoir ignoré la voix bourguibienne de la raison et de l’art de la négociation.
Dans cette période de tensions et d’escalade militaire, toute position de rejet et de défi risque fort de ne pas rester sans conséquences diplomatiques, économiques et sécuritaires. Celui qui se place en dehors de la légalité internationale ne pourra pas s’en prévaloir lorsque ses intérêts et son intégrité territoriale seront menacés.
Depuis 2011, la Tunisie a cru se forger le statut d’exception démocratique et socio-économique avec les résultats désastreux qui n’échappent à aucune personne sensée.
Malgré les déboires de cette velléité d’exceptionnalisme, vouloir l’infliger à nos relations internationales comporte des risques potentiellement plus préjudiciables surtout dans cette conjoncture difficile à l’intérieur et explosive à l’extérieur.
Un vieux proverbe dit qu’à trop jouer avec le feu, on finit par se brûler les ailes.
* Ancien ambassadeur.
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